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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/481

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PROMÉTHÉE.

portent le nom d’Orphée[1], dans un fragment de Sanchoniathon cité par Eusèbe[2], dans Hygin et dans quelques autres mythologues. Toutes ces cosmogonies ou théogonies s’accordent en ce point, que, sous le premier règne, celui d’Uranus et de Gè (le Ciel et la Terre), il n’existait que des pouvoirs célestes et terrestres, ou, comme on a dit plus tard, des dieux et des titans. L’homme, comme dans la Genèse, et comme dans les cosmogonies orientales, fut le dernier né de la création[3]. Ce n’est que sous la seconde dynastie céleste, du temps de Saturne et de Rhée, qu’on vit les hommes habiter la terre ; Hésiode dit que la première race, celle de l’âge d’or, fut créée par les habitans de l’Olympe. Quant à ceux du troisième âge, de l’âge d’airain : « Ils furent, dit-il, créés par Jupiter[4]. » D’où lui vint, sans doute, le nom de père des dieux et des hommes qu’Homère et Hésiode lui donnent si souvent, et celui de hominum sator atque deorum, qu’il reçut chez les Romains.

Dans un apologue attribué à Ésope, mais d’une époque très postérieure, Prométhée crée les hommes et les animaux, par l’ordre exprès de Jupiter[5]. Platon admet aussi dans son Protagoras cette collaboration bizarre de Dieu et de Prométhée et même d’Épiméthée. Ce philosophe, s’élevant ailleurs à une doctrine plus épurée, démontre dans le Timée la nécessité d’un ouvrier suprême et unique pour l’arrangement de l’univers et la formation des hommes d’après un type éternel et idéal ; mais il refuse à la divinité le pouvoir de rien créer[6].

Soit donc que l’on consulte les monumens, les poètes ou les philosophes, nulle part on ne voit en Grèce le dieu suprême se livrer, comme dans la Genèse, au grand acte de la création. Platon lui-même retombe à tous momens dans la matérialité des cosmogonies sidérales et élémentaires issues des religions de l’Orient. Exposant son système des trois sexes, il établit que les hommes ont été produits par le soleil, les femmes par la terre, et le sexe double (les androgynes), par la lune[7]. Malgré les belles pages du Timée et quelques pages aussi belles d’Aristote[8], la Grèce ne put se dégager entièrement des liens du panthéisme asiatique. Elle ne fit que l’amoindrir, et ne

  1. Pseud.-Orph., Argonaut. init.Hymn.V.
  2. Euseb., Præpar. evang., lib. I, cap. X.
  3. Plat., Protagor.
  4. Hesiod., Op. I, v. 110-113.
  5. Æsop., Fab. 274, ed. Coray.
  6. Plat., Tim., pag. 28. — Diog. Laert., lib. III, n. 40-42.
  7. Plat. conviv.
  8. Aristot., Metaphys., lib. IX, cap. v, p. 930.