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PROMÉTHÉE.

réalisation de tous ses rêves. Cette manière de former la femme n’est pas seulement la plus philosophique et la plus touchante, elle est encore la plus gracieuse et la plus poétique. On sait le parti qu’en a tiré Milton. Le quatrième livre du Paradis perdu est, sans contredit, le tableau le plus suave qu’ait jamais tracé le pinceau d’un poète.

M. Quinet, dans le plan qu’il avait conçu, ne pouvait adopter ni la charmante et épigrammatique fiction d’Hésiode, ni le beau récit de la Genèse. Profitant d’une tradition grecque, assez récente, qui attribue à Prométhée la création de la femme[1], et appuyé sur un passage d’Eschyle, qui signale les noces d’Hésione et du titan, M. Quinet nous montre Prométhée se complaisant à former sa compagne géante. Voici les paroles dont le statuaire salue son ouvrage naissant :

Terre, qui produis tout, et toi, mer embaumée,
Écoutez et voyez ! car l’argile est formée.
Les dieux sont-ils plus beaux que ce vivant limon ?
À leurs corps endormis sur le haut Cythéron
Mes yeux ont dérobé la beauté souveraine.
C’en est fait, dieux jaloux, retenez votre haleine. —
Une vierge géante, enfant des songes d’or,
De l’argile est sortie… elle est aveugle encor.
Sur ses pieds blancs descend sa noire chevelure ;
Le lierre des forêts serpente à sa ceinture.
Des pensers de titan habitent sous son front.
Son œil s’ouvre… tout rit. Bercé sur son giron,
L’amour d’un lait divin a gonflé ses mamelles
Où pendent en naissant les nations jumelles…

Si j’ose dire ma pensée sur cette fiction, l’idée de ce colosse féminin ne me semble pas heureuse. Le gigantesque nuit à la grace. Je me garderai même bien d’indiquer quelle réminiscence enfantine et joviale réveille en moi cette colossale mère du genre humain. Les premiers mots que prononce Hésione rappellent les douces paroles d’Ève dans Milton. À peine animée du souffle céleste, Hésione s’éprend du bonheur de vivre :

........ ô vallons ! ô montagnes !
Ruisseaux, grottes, salut ! et vous, fleurs, mes compagnes,
Aisément je me fie aux mêmes cieux que vous…
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  1. Menand., Frag., num. 195. — Fulgent., Mytholog., lib. II, cap. IX, sub fin.Lucian., ut supra.