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REVUE DES DEUX MONDES.

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Sur vos tiges déjà voudriez-vous mourir ?
Oh ! dites qu’il est doux de vivre et de fleurir,
Qu’auprès de la colombe il me reste une place,
Que la mousse des bois tressaille quand je passe…

Assurément, ces vers seraient pleins de charme, si l’on pouvait oublier un moment qu’ils sont prononcés par une géante.

Après avoir été sévère pour cette première partie de Prométhée, je me réjouis sincèrement de n’avoir que des éloges à donner à la seconde, au Prométhée enchaîné. Ici M. Quinet a pour appui le vieil Eschyle et le second drame de sa trilogie, lequel nous est parvenu intact. M. Quinet s’est inspiré de ce chef-d’œuvre, et il a bien fait. Toutefois, nulle part peut-être il ne s’est montré plus original. En effet, aux menaces prophétiques que le titan profère contre les dieux de l’Olympe, M. Quinet a dû mêler l’annonce de la loi nouvelle ; il a dû faire du blasphémateur de Jupiter le héraut précurseur du Christ. Cette partie du sujet si importante, si neuve, si délicate, est traitée par M. Quinet de main de maître.

Le passage des idées polythéistes aux idées chrétiennes est ménagé avec un art et des gradations de teintes que je ne puis trop louer :

« … Malgré ce vautour qui me ronge,
Souvent, sur ce rocher, je doute si je songe.
Si devant l’avenir le présent qui s’enfuit
N’est pas un mot, un rêve, évoqué par la nuit ;
S’il est vraiment des dieux, si Jupiter lui-même
N’est pas, au fond du temple, un vain nom, un blasphème,
Par l’immense univers au hasard répété,
Un faux voile étendu devant l’éternité.
Qui sait ce que demain peut enfanter la terre ? »

Et ailleurs Prométhée, pressentant la chute du polythéisme, s’écrie :

…… Des immortels préparez le cercueil…
Vierges, entendez-vous le cri de la prêtresse ?
Le loup a dévoré Diane chasseresse…
Apollon, qu’as-tu fait de tes flèches d’argent ?
Vois dans Corinthe un dieu plus diligent
Sur l’autel inconnu transporter la Pythie.
Pourquoi d’Argos le temple a-t-il croulé ?
De Delphes maintenant l’oracle balbutie…
L’herbe croît sur l’autel que Neptune a foulé.