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DE LA QUESTION COLONIALE.

La plus grande difficulté ne sera donc pas de faire vivre d’accord les nouveaux affranchis et la majorité des blancs, ce sera de les faire matériellement vivre les uns et les autres. On aura un plus grand nombre de prolétaires ; mais ce n’est pas l’émancipation en elle-même qui sera un embarras, ni la résistance des blancs un obstacle bien sérieux.

La population de couleur libre, qui peut s’assimiler aux petits blancs, tient par beaucoup de liens aux esclaves, et, selon toute apparence, ne sera pas scandalisée de leur élévation. C’est presque toujours parmi les négresses esclaves que les hommes de couleur libres, peu élevés dans leur nouvelle condition, se choisissent une femme. Du reste, ils n’ont pas d’aversion pour le travail de la terre, quoiqu’ils préfèrent, la plupart, le séjour des villes, où ils pratiquent avec assez d’indolence diverses professions manuelles ; ils ne craignent pas d’entendre dire qu’ils font en cela une œuvre servile.

La plus forte objection à un affranchissement prochain des esclaves, c’est, nous l’avons dit, l’état même des esclaves qui sont encore plongés dans la barbarie. Pour nous résumer, les libres de couleur, les blancs, sont dans une disposition dont il y a quelque chose à espérer ; les esclaves seuls ne sont pas prêts, et cependant l’émancipation va les saisir tels qu’ils sont ; elle est à la veille de franchir le détroit de trente lieues qui sépare Maurice de Bourbon, deux îles dont la destinée ne peut pas être long-temps dissemblable.

Déjà, depuis plusieurs années, les colons de Bourbon, dans la prévision de l’avenir qui les menace, ont fait des essais de culture avec des travailleurs libres, engagés moyennant salaire ; et, malgré le peu de succès obtenu, ils sont décidés à recommencer la même tentative. Ce sont des Indiens qui ont été employés à cette utile expérience. Jusqu’en 1829, comme on ne songeait guère à l’avantage qu’on pourrait tirer d’eux pour remplacer un jour les esclaves, le nombre des Indiens était peu considérable à Bourbon. Il s’accrut beaucoup, à dater de cette époque, par l’introduction dans la colonie de cultivateurs libres, que plusieurs planteurs s’étaient procurés à la côte d’Orixa, principalement dans la caste des parias. Le chiffre de ces engagés volontaires s’élevait, en 1830, à 3,102, d’après les calculs du département de la marine, qui, du reste, avait approuvé l’innovation dont nous parlons. Mais, s’il faut en croire l’opinion qu’il ex-

    est de 196, dont moitié appartenant à la population blanche et moitié à la population de couleur. Celui des ouvriers et apprentis est de 2,156 environ, dont 71 blancs, 257 libres de couleur et 1,828 esclaves.