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DE LA QUESTION COLONIALE.

caine pour les éventualités incalculables que nous cache l’avenir. On connaît assez tous les regrets de l’Espagne quand il lui a fallu retirer ses dernières milices et son pavillon en lambeaux de ce vieux théâtre de sa gloire, perdu par ses fautes : nous aimons à penser que, dans la longue résistance de quelques-uns de ses enfans les plus éclairés, à la veille de cette mutilation forcée du grand empire de Charles-Quint, il entrait encore plus de prévoyance politique que d’esprit de routine et d’orgueil castillan ; et pourtant il leur reste l’île de Cuba, qui vaut à elle seule un royaume du continent voisin, et comme source de richesses et comme point d’observation.

Personne n’ignore, d’ailleurs, avec quelle persévérance d’autres états d’Europe, arrivés les derniers au partage du monde, cherchent à se glisser en Amérique et la sondent sur tous les points, tantôt au nord, tantôt au midi. La France, qui a sa Guyane depuis long-temps, voudra s’y affermir et conserver le droit d’être représentée, en toute occasion, dans la confédération des états américains du sud ; un pacte fédéral entre eux ne fut pas tout-à-fait une chimère, tant qu’a vécu Simon Bolivar ; pourquoi le même lien ne se renouerait-il pas, dans l’avenir, pour former un faisceau qui résiste à l’ambition des états du Nord, si bien unis, quoique divisés en apparence ? Et, dans cette prévision, il importe que la France se prépare à faire compter sa voix comme elle doit l’être dans un conseil futur d’amphictyons du Nouveau-Monde. Rien de ce qui se passera sur les rives de l’Atlantique ne peut nous demeurer indifférent.

Que de raisons, dès ce moment, nous encouragent à nous établir dans notre Guyane comme dans un observatoire ! Sa salubrité n’est plus douteuse, nous l’affirmons de nouveau, et s’il en faut une preuve palpable, la voici : pendant une période de six années de 1831 à 1836, la mortalité parmi les troupes n’a été annuellement que de 3 sur 100 à la Guyane française.

Ses ressources sont immenses, dès aujourd’hui, pour l’exploitation des pâturages et l’aménagement des forêts qui commencent à 15 ou 20 lieues de la côte et se prolongent dans l’intérieur du continent, à une profondeur inconnue ; son sol sera plus tard propice, si l’on veut, à tous les genres de culture ; mais il ne faut pas se laisser décourager par le mauvais résultat de quelques essais mesquins, et ne pas s’étonner, par exemple, qu’après avoir transporté, en 1824, sur les bords de la Mana, trois pauvres familles du Jura, dont deux parfaitement étrangères à toute notion agricole, on n’ait pas égalé le succès de William Penn.