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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/535

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DE LA QUESTION COLONIALE.

repoussées par les conseils coloniaux, dispenseraient pour toujours de recourir à une mesure d’émancipation générale. Seulement, quand elle viendra, nous voulons que son caractère de généralité se trouve déjà fortement atténué par tout ce qui aura été fait par d’autres moyens. Dans cette période transitoire, que les colonies se rassurent ; elles n’auront pas perdu entièrement les services de leurs noirs d’élite successivement émancipés ; elle pourront les employer comme chefs d’atelier, maîtres-ouvriers et commandeurs. Quant à prétendre que des hommes, ayant conquis leur liberté par leur propre vertu, la vertu du travail, retomberont le lendemain dans la plus abjecte fainéantise, c’est une énormité qu’on ne persuadera à personne : on a beau, pour cela, dénaturer le tableau présent de la plupart des îles anglaises, enfler le mal, déguiser le bien, et calomnier notamment l’heureuse colonie de Maurice, dont les conseils représentatifs des îles françaises ont beaucoup trop abusé pour le besoin de la cause. Et d’ailleurs ne sait-on pas que les noirs de culture ne seront, ni en grand nombre, ni les premiers, en état de se racheter eux-mêmes ? On ne verra donc pas tout d’abord dans le travail colonial la lacune qui serait le plus à déplorer, et l’attente d’une émancipation définitive ne sera pas aussi cruelle qu’on l’a supposé.

On a cru, dans la plupart des conseils coloniaux, que ce serait un raisonnement victorieux que celui-ci : « Le pécule existe de fait, le rachat a lieu, du libre consentement des maîtres. Pourquoi transformer en un droit, qui peut avoir des dangers au point de vue des colons, un fait qui se manifeste assez fréquemment sans être obligatoire ? » Il n’était pas difficile de répondre, et quelques organes de l’administration publique, des magistrats surtout, l’ont fait, dans le sein même des conseils coloniaux. Quant à nous, la première considération qui nous frappe et qui seule nous déciderait, c’est que le droit, s’il est reconnu et substitué au fait accidentel dont on se prévaut, ira plus loin que lui et produira plus d’affranchissemens. Quelles objections vient-on élever contre une déclaration de droit qui n’a pas d’autre prétention que de consacrer l’état présent des choses ? Le pécule existe par le fait ; eh bien ! les lois ne sont-elles pas destinées à légitimer les faits existans ? et lorsqu’elles ne vont pas au-delà, est-il concevable qu’on les accuse de jeter autour d’elles la perturbation ? Commencez donc, s’il en est ainsi, par dénoncer le Code noir qui, par son art. 29, donne une existence légale au pécule, et l’ordonnance du 15 octobre 1786 qui pose en principe, et comme indépendant des dispositions du maître, l’abandon à l’esclave d’une