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certaine portion de terrain à cultiver pour son compte. C’est donc le droit qui est ancien ; c’est la négation du droit qui est nouvelle.

Il est vrai qu’on a voulu apercevoir dans la reconnaissance légale du pécule une excitation au vol plus encore qu’au travail ; mais on oubliait que l’esclave, convaincu de vol, devait être, aux termes de l’ordonnance, déclaré indigne de la liberté.

Il est vrai aussi qu’on a menacé l’esclave des fâcheuses conséquences que pourrait attirer sur lui, chaque jour et à toute heure, avant le jour et l’heure de l’affranchissement, la volonté irritable de son maître, dès qu’ils se verront l’un et l’autre dans une égalité nouvelle devant cette loi qui stipule les conditions du rachat forcé. On a dit qu’un tel bouleversement des relations établies doit fermer le cœur du maître à l’esclave. Ce sera un malheur, sans doute, mais moins grand pour le noir que son impuissance actuelle à rentrer en possession de la liberté quand il est assez riche pour la payer. Du reste, il n’y a guère à s’occuper des bizarres effets qui naîtront de la situation mixte des esclaves, et que l’on s’est plu à relever, dans les conseils coloniaux, avec une malveillante complaisance. Un noir qui ne se possède pas lui-même et qui sera admis à posséder conformément aux règles du code fait pour des personnes libres ! Un homme, privé d’état civil, qui jouira de certains droits civils, et pourra, s’il ne les exerce personnellement, les faire exercer pour lui, plaider, transiger, intenter les actions civiles les plus graves ! Et contre qui ? Contre son maître, dont il est la chose ! Voyez tout ce que contient la simple concession d’un pécule légal à l’esclave : c’est le renversement de tous les principes, c’est l’intrusion d’une propriété insolite dans la propriété établie, c’est la déclaration que l’esclave n’est plus une chose, mais un être ; c’est une spoliation ! Bien plus, dans une sombre hallucination, il a semblé à un créole que les noirs étaient parmi les blancs comme une nation étrangère, captive, qui, par le rachat forcé, allait imposer sa volonté à la nation souveraine ! — Dans tout ceci, il y a beaucoup de plaintes qui ne nous touchent pas ; il y en a d’autres qui nous scandalisent un peu par la forme dont on les a revêtues et que nous avons voulu adoucir. Mais surtout ce qui nous préserve de toute chimérique inquiétude, c’est l’intervention du magistrat qui, traitant pour l’esclave et sans lui, sauvera la plupart de ces fictions et de ces contradictions dont on nous exagère les difficultés.

Une objection plus forte, si elle était fondée, ce serait que les projets d’ordonnances royales sur le pécule et le rachat fussent re-