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ces terribles conditions ? N’est-il pas à craindre que leur raison ne succombe, que leur ame que l’on veut sauver ne se désespère ? S’il ne faut pas tuer le corps, il faut encore moins tuer l’intelligence, car il vaut mieux être mort que fou. Aussi de pareils châtimens excèdent les droits de la société, et semblent une inconséquence dans le système de M. Livingston, qui, voulant réformer le criminel, ne devait pas plus admettre de peines irrémissibles que de peines irréparables.

Si l’intelligence humaine se trouve menacée par ce supplice, M. Livingston, dans d’autres circonstances, n’a-t-il pas manqué ou de prudence, ou de modération, ou même de véritable esprit de justice ? Le besoin d’investigation et de découverte ne l’a-t-il pas conduit trop loin, lorsque, malgré la sage répugnance de nos codes, il a admis la femme à déposer dans la cause du mari, et le fils dans la cause du père ? Il ne convient pas de placer l’homme entre deux devoirs contraires, et de lui donner le choix entre la nature et la loi, l’affection et le parjure. N’a-t-il pas été trop rigoureux en assimilant le ravisseur qui viole au meurtrier qui tue ? On peut aussi lui reprocher d’avoir été trop indulgent pour les délits qui naissent des habitudes démocratiques, et trop sévère pour les actes de récidive, contre lesquels il prononce dans tous les cas l’emprisonnement perpétuel, considérant comme incurables ceux qui les ont commis, parce qu’ils ont eu sans doute le tort de résister à son régime. En un mot, on serait tenté de le regarder quelquefois comme trop exigeant par goût de la vérité, trop facile par entraînement populaire, trop rigoureux par esprit de réforme.

Malgré les imperfections inséparables d’une aussi grande œuvre, la législation pénale de M. Livingston présente un vaste et superbe ensemble. Ses quatre codes se tiennent et se complètent. Ils sont comme une voûte dont chaque pierre formerait la clé. Si l’une était enlevée, toutes crouleraient. Il l’a dit lui-même avec le juste sentiment du mérite de son livre, et il a ensuite ajouté : « Cet ouvrage, poursuivi pendant plusieurs années avec une attention qui ne s’est jamais ralentie, avec une déférence respectueuse pour les opinions des autres, et une observation rigoureuse des résultats pratiques, me laisse la conviction bien satisfaisante d’avoir pris toutes les précautions possibles pour me garantir de la présomption de moi-même, de n’avoir négligé aucun des moyens qui pouvaient m’être suggérés par le sentiment profond de son importance et le désir religieux d’augmenter le bonheur des individus en établissant les vrais principes de la justice publique. »