Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/546

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
542
REVUE DES DEUX MONDES.

lui connaissait au départ de la jeune fille. Marcel, ivre de colère, fit entrer ses gens, mais ils étaient Napolitains pour la plupart, et quand ils reconnurent d’abord le secrétaire du duc et ensuite le cardinal que le singulier habit qu’il portait leur avait d’abord caché, ils remirent leurs épées dans le fourreau, ne voulurent point se battre, et s’interposèrent pour apaiser la querelle.

Pendant ce tumulte, Martuccia qu’on entourait et que Marcel Capecce retenait de la main gauche, fut assez adroite pour s’échapper. Dès que Marcel s’aperçut de son absence il courut après elle, et tout son monde le suivit.

Mais l’obscurité de la nuit autorisait les récits les plus étranges, et dans la matinée du 2 janvier, la capitale fut inondée des récits du combat périlleux qui aurait eu lieu, disait-on, entre le cardinal neveu et Marcel Capecce. Le duc de Palliano, général en chef de l’armée de l’église, crut la chose bien plus grave qu’elle n’était, et comme il n’était pas en de très bons termes avec son frère le ministre, dans la nuit même il fit arrêter Lanfranchi, et, le lendemain de bonne heure, Marcel lui-même fut mis en prison. Puis on s’aperçut que personne n’avait perdu la vie, et que ces emprisonnemens ne faisaient qu’augmenter le scandale, qui retombait tout entier sur le cardinal. On se hâta de mettre en liberté les prisonniers, et l’immense pouvoir des trois frères se réunit pour chercher à étouffer l’affaire. Ils espérèrent d’abord y réussir ; mais, le troisième jour, le récit du tout vint aux oreilles du pape. Il fit appeler ses deux neveux, et leur parla comme pouvait le faire un prince aussi pieux et aussi profondément offensé.

Le cinquième jour de janvier, qui réunissait un grand nombre de cardinaux dans la congrégation du Saint office, le saint pape parla le premier de cette horrible affaire ; il demanda aux cardinaux présens comment ils avaient osé ne pas la porter à sa connaissance : « Vous vous taisez ! et pourtant le scandale touche à la dignité sublime dont vous êtes revêtus ! Le cardinal Caffara a osé paraître sur la voie publique couvert d’un habit séculier et l’épée nue à la main. Et dans quel but ? Pour se saisir d’une infâme courtisane ? »

On peut juger du silence de mort qui régnait parmi tous ces courtisans durant cette sortie contre le premier ministre. C’était un vieillard de quatre-vingts ans qui se fâchait contre un neveu chéri, maître jusque-là de toutes ses volontés. Dans son indignation le pape parla d’ôter le chapeau à son neveu,

La colère du pape fut entretenue par l’ambassadeur du grand-duc