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sement, au lieu d’apprécier de si grands bienfaits, la population des républiques américaines n’a montré presque partout que des sentimens de jalousie et d’aversion contre les Européens qui avaient espéré trouver asile et sécurité à l’abri de leurs institutions, et ce qui est plus déplorable encore, c’est que les gouvernemens ont, ou partagé ouvertement ces préventions, ou favorisé sourdement les préjugés populaires ; qu’ils les ont, en quelque sorte, légitimés par une législation illibérale, par des mesures étroites ou vexatoires, par de continuels dénis de justice, par une détestable indulgence pour tous les attentats commis contre les étrangers[1]. L’exposé des griefs de la France contre le Mexique, contenu dans l’ultimatum de M. le baron Deffandis, n’est encore que le tableau adouci des iniquités sans nombre dont les troubles civils, les haines aveugles de la populace, l’indifférence calculée des gouvernemens, ont trop souvent rendu les étrangers victimes. C’est là, disons-le hautement, une question

    sont pas sagement calculées, et on s’expose de part et d’autre à de grands mécomptes. Mais au moins les dispositions sont favorables, et méritent d’être encouragées. L’Allemagne, que les alliances de la famille impériale de Bragance ont mise en rapport avec le Brésil, y a le plus grand intérêt, et s’en occupe sérieusement.

  1. Il y a long-temps qu’on peut faire ce reproche à l’Amérique espagnole, et c’est une vieille tradition du régime colonial dont les nouveaux états devraient plus complètement s’affranchir. Nous n’avons voulu citer ici aucun fait récent, pour ne pas réveiller une irritation à peine calmée ; mais on nous permettra d’emprunter à un vieux livre quelques détails parfaitement applicables au temps présent, sur la manière de procéder à l’égard des meurtres et autres violences dont les étrangers sont victimes. Tous les esprits familiarisés avec ce qui s’est passé en ce genre depuis une douzaine d’années dans quelques-unes des nouvelles républiques de l’Amérique du sud, y reconnaîtront, trait pour trait, certaines procédures qui paraîtraient fort étranges à l’Europe civilisée.

    En 1739, un sieur Seniergues, chirurgien du roi, qui accompagnait les membres de l’Académie des Sciences envoyés au Pérou pour mesurer les degrés terrestres sous l’équateur, fut assassiné, en plein jour, à Cuenca, au milieu d’une fête, par des habitans notables du pays, qui avaient suscité contre lui une émeute populaire sous le plus frivole prétexte. Un procès criminel fut entamé, et veut-on savoir comment il fut conduit et quel en fut le résultat ? qu’on lise le récit de M. de La Condamine, consigné dans une lettre sur ce tragique évènement. « Le juge ordinaire, qui dans les vingt-quatre heures avait reçu la déclaration du mourant et fait le procès-verbal de ses blessures, eut la coupable complaisance de s’absenter le lendemain, pour laisser le champ libre à l’alcade Serrano et à Neyra, qui, encore teints du sang de Seniergues, avaient le front de lui faire son procès, et de se porter, l’un pour juge, l’autre pour témoin dans l’information. M. Bouguer et moi rendîmes, le 1er septembre, une plainte criminelle, demandant permission d’informer contre les auteurs du tumulte, et notamment contre ceux qui nous avaient attaqués et poursuivis à main armée. Je rendis une autre plainte contre les meurtriers, avec M. de Jussieu, tous deux en qualité d’exécuteurs testamentaires du défunt, et pour l’honneur de sa mémoire. M. Godin demanda permission d’informer de la manière dont s’était comportée notre compagnie en cette occasion. Toutes ces requêtes furent présentées à don Mathias Davila, corrégidor actuel, qui était revenu à Cuenca au premier avis du tumulte. Ce juge montra d’abord beaucoup de vigueur, et voulut faire arrêter les coupables ; mais tout à coup cette vivacité se ralentit. Je