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DE L’AMÉRIQUE DU SUD.

d’intérêt européen et de civilisation, sur laquelle il serait impossible que tout le monde ne fût pas d’accord, si l’esprit de parti, en France, ne s’était, depuis long-temps, mis au-dessus de toutes les considérations qu’il devrait respecter.

Est-ce donc à dire que tous les gouvernemens des nouvelles républiques, que toutes les nations de cet immense continent, appelé par la nature à de si grandes destinées, aient encouru au même degré envers l’Europe ces reproches d’injustice et de sauvage aversion ? Est-ce à dire surtout qu’il faille désespérer de voir un jour ces peuples s’élever à une sociabilité plus humaine, à de meilleures institutions, à une moralité plus pure, à une intelligence plus complète des droits et des devoirs entre nations civilisées ? Nous ne le pensons pas, et c’est même pour cette raison que nous croyons devoir applaudir aux mesures de rigueur momentanément adoptées par la France envers le Mexique et le gouvernement des provinces de la

    dois rendre justice à sa droiture et à ses bonnes intentions ; il fut retenu par ceux qui naturellement auraient dû le presser. On craignit ou on feignit de craindre un nouveau soulèvement. Enfin, le corrégidor fit seulement d’office une information sommaire et secrète, dont les parens de sa femme, alliés des coupables, ne lui ont pas su gré. Il l’envoya à Quito, et elle fait la base de tout le procès.

    « De divers autres juges nommés successivement, les uns s’excusèrent, les autres firent des procédures contradictoires et absurdes. L’un d’eux, homme noté et complice d’un meurtre dont il ne s’est jamais bien lavé, brigua la commission, l’obtint, et, quoique récusé en bonne forme, il informa, mais seulement contre le défunt, et non contre ses meurtriers. Sur de simples allégations de faits calomnieux, et depuis démontrés faux, il décréta le mort de prise de corps, trois mois après son décès. Le décret existe au procès, ainsi que les lettres menaçantes et inutiles, et les ordres aussi infructueux des vice-rois de Lima et de Santa-Fé, adressés au parlement (l’audience royale) de Quito, pour qu’un des conseillers de cette cour se transportât de Quito à Cuenca pour y faire les informations nécessaires. Cependant, sur les premières procédures faites par le corrégidor de Cuenca, le procureur-général du parlement de Quito (fiscal de l’audience), ayant donné des conclusions à mort contre les meurtriers de Seniergues, le même corrégidor eut un ordre secret de les arrêter ; mais la plupart eurent le temps de s’échapper. Le seul Léon fut pris et mis en prison à Cuenca, d’où, sous prétexte d’une maladie, attestée par des certificats de charlatans, qui contenaient un exposé aussi faux que ridicule, et par faute d’argent (quoique tous les biens des coupables fussent saisis), il n’a jamais pu être transféré à Quito. Enfin, après trois ans de procédures suivies, de ma part, sans relâche, et qui remplissent un volume in-folio de près de mille pages, les principaux coupables, l’alcade Serrano, Neyra et Léon, fugitifs dès le premier décret, qualifiés, dans les conclusions du procureur-général, de perturbateurs du repos public et de criminels de lèse-majesté, et contre lesquels le même ministre de la vengeance publique avait conclu à mort, à la confiscation de biens, et préalablement à la question contre l’un d’eux, sont condamnés ; c’est ici ce qui est plus digne d’attention, sont condamnés, par contumace, à huit ans de bannissement avec deux hommes du peuple. Quoique fort contens de cet arrêt, aucun n’y a obéi, et ils n’attendaient que le moment de mon départ pour se présenter devant les mêmes juges et se faire absoudre entièrement, comme ils le sont sans doute aujourd’hui. »