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COURS DE LITTÉRATURE FRANÇAISE.

c’est son amour pour les lettres. Jamais siècle n’a été plus littéraire que celui-là ! Jamais ce bel instrument du style n’a été manié avec plus d’habileté ! Jamais on ne s’est laissé plus enchanter par l’éloquence ! Jamais le langage écrit, ce magnifique perfectionnement du langage parlé, n’a été aimé et cultivé pour lui-même avec tant de passion, je dirais presque de fanatisme ! Jamais la pensée n’a coulé de la plume sous plus de formes brillantes, ingénieuses, sans cesse renouvelées ! On respectait peu de choses dans le XVIIIe siècle, mais on respectait souverainement un livre. Ces penseurs hardis n’auraient pas laissé échapper une phrase sans lui avoir donné tout le poli, tout le fini, toute la grace ou toute la magnificence qu’elle comportait. Voltaire rit de tout ; mais, quand il est question d’une situation théâtrale, il ne rit pas. Il discute avec la gravité et la subtilité d’un docteur de Sorbonne. Il revient cent fois à la charge, il consulte tout le monde, il en perd le boire et le manger, il ne dort pas. Un vers dur le fait sauter sur son fauteuil ; une faute de goût le met en colère même contre une impiété, et la seule chose qu’il ne pardonne pas à un philosophe, c’est de mal écrire. Vous haussez les épaules de cette passion pour les mots ? Eh bien ! avec votre dédain pour ces futilités littéraires, ayez, je vous prie, la grace et la légèreté de Voltaire, écrivez avec plus de naturel et de liberté que lui, faites pétiller plus d’idées dans un style plus coulant et plus simple ! Le style, c’est la beauté de la pensée, comme les bois, les eaux, la lumière, sont la beauté du monde.

Les hommes les plus graves du XVIIIe siècle, ceux même dont les hardiesses politiques ont fini par enfanter des révolutions et par remuer le monde, ont sacrifié, avant tout, aux lettres ; oui, même Montesquieu. Qu’on le prenne pour un reproche, si l’on veut : je suis convaincu que l’auteur de l’Esprit des lois a voulu faire, avant tout, un beau livre. Je suis certain qu’il a eu sans cesse devant les yeux, en écrivant, ce type du beau, cet idéal de la forme que Cicéron consultait avant de prononcer contre Catilina ou Antoine ses foudroyantes harangues, et Tacite avant d’imprimer sur Tibère ou Néron ces flétrissures que l’éternité même des siècles n’effacera pas. N’est-ce pas pour cela que Montesquieu avait placé à la tête d’un des livres de l’ouvrage le plus grave du XVIIIe siècle une invocation aux muses ? Voyez avec quel art calculé tantôt il aiguise sa phrase en épigramme, tantôt il la jette avec une sorte de négligence et de fougue ! Comme il achève un tableau, ou comme il n’en dessine que quelques traits avec l’insouciance du génie que l’abondance de ses conceptions