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vive, peut-être longue, et qu’il ne voulait pas laisser sa femme seule dans son château, il l’emmena dans son expédition. Les barques qui portaient sa petite troupe prirent terre au fond du Linnhe-Loch au pied du Ben-Nevis, à l’endroit même où, depuis, le fort William a été construit. Les soldats de Mac-Lean opérèrent leur descente sur les terres de Lochiel sans rencontrer la moindre résistance ; Lochiel cependant était bien décidé à ne pas abandonner ses domaines confisqués sans en faire payer cher l’acquisition à Mac-Lean : il avait donc assigné aux divers clans dont il était le chef l’extrémité du Loch-Ness pour rendez-vous, et, sur tous les points de la côte où il supposait que les Mac-Leans débarqueraient, il avait placé d’actives sentinelles chargées d’observer l’ennemi.

À peine les sentinelles placées au bord du Loch-Linnhe eurent-elles vu débarquer les gens de Mac-Lean que, s’enfuyant de toute leur vitesse, elles prirent le chemin des montagnes pour donner à leurs compagnons le signal de la guerre. Ce signal se donnait de la manière suivante : les soldats, placés en sentinelle, tenaient à la main un bâton brûlé à l’un de ses bouts et trempé dans le sang à l’autre bout. Ce bâton, chacun d’eux le remettait au premier homme du clan menacé qu’il rencontrait dans sa course ; celui-ci devait courir, le bâton en main, jusqu’à la capitale de ce clan, à moins qu’en chemin il ne rencontrât un autre des membres de la même tribu qui prît le bâton et courut à son tour. Ce signal, transmis de mains en mains, arrivait avec une étonnante vitesse dans chaque village de chaque vallée. À sa vue, chacun des hommes en état de manier la claymore était tenu de s’armer et de se rendre à l’endroit désigné comme lieu de rassemblement en cas de guerre ou d’invasion. L’apparition du bâton contenait, en effet, un avis et une menace. C’était une façon de dire à chaque montagnard : L’ennemi est là ! tout homme qui refusera de le combattre verra sa maison brûlée et son sang répandu.

Les Camérons de Lochiel étaient tous des gens dévoués à leur seigneur et n’avaient pas besoin de cette menace pour se rendre à leur poste ; aussi Mac-Lean, en s’avançant dans l’intérieur des terres, eut-il bientôt à combattre toute la population de la contrée. Il fit bonne contenance cependant. Il poussa jusqu’aux rives du Loch-Ness où il savait que Lochiel l’attendait avec le gros de son armée ; il espérait le vaincre et avoir ensuite bon marché de ces clans dispersés. Le combat s’engagea sur l’emplacement même du fort Auguste. Les Mac-Leans durent céder au nombre ; Lochiel fut vainqueur, et ses mesures étaient si bien prises, que pas un seul homme du clan des Mac-Leans ne s’échappa : chefs et soldats, tout fut tué.

La femme de Mac-Lean tomba au pouvoir du vainqueur ; comme elle était enceinte, on épargna sa vie, et Lochiel la confia à Mac-Lonish, chef d’une tribu alliée des Camérons. Lochiel, comptant sur son dévouement, lui recommanda de la manière la plus formelle, et en accompagnant sa recommandation de terribles menaces, de mettre à mort l’enfant dont lady Mac-Lean accoucherait, si cet enfant était du sexe masculin ; si cet enfant était une fille, il pourrait lui laisser la vie.