Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
L’USCOQUE.

— Ezzelin est vivant ! s’écria-t-il, et il me dénonce !

— Appelle-le au combat, et tâche de le tuer, dit Naam.

— Impossible ! Il n’acceptera le combat qu’après avoir parlé contre moi.

— Va te réconcilier avec lui, offre lui tous tes trésors. Adjure-le au nom du Dieu très grand !

— Jamais ! D’ailleurs il me repousserait.

— Rejette toute la faute sur les autres !

— Sur qui ? Sur Hussein, sur l’Albanais, sur mes officiers ? On me demandera où ils sont, et on ne me croira pas si je dis que l’incendie…

— Eh bien ! mets-toi à genoux devant ton peuple, et dis : J’ai commis une grande faute et je mérite un grand châtiment. Mais j’ai fait aussi de nobles actions et rendu de hauts services à mon pays ; qu’on me juge. Le bourreau n’osera pas porter ses mains sur toi, on t’enverra en exil, et l’an prochain on aura besoin de toi, on te donnera un grand exploit à faire. Tu seras victorieux, et ta patrie reconnaissante te pardonnera et t’élèvera en gloire.

— Naam, vous êtes folle, dit Orio avec angoisse. Vous ne comprenez rien aux choses et aux hommes de ce pays. Vous ne sauriez donner un bon conseil !

— Mais je puis exécuter tes desseins. Dis-les-moi.

— Et si j’en avais un seul, resterais-je ici un instant de plus ?

— La fuite nous reste, dit Naam. Partons !

— C’est le dernier parti à prendre, dit Orio, car c’est tout confesser. Écoute, Naam, il faudrait trouver un bon spadassin, un bravo, un homme habile et sûr. Ne connais-tu pas ici quelque renégat, quelque transfuge musulman, qui n’ait jamais entendu parler de moi, et qui par considération pour toi seule, moyennant une forte somme d’argent…

— Tu veux donc encore assassiner ?

— Tais-toi ! Baisse la voix. Ne prononce pas ici de tels mots, même dans ta langue.

— Il faut s’entendre pourtant. Tu veux qu’il meure, et que j’assume sur moi toute la responsabilité, tout le danger ?

— Non ! je ne le veux pas, Naam ! s’écria Soranzo en la pressant dans ses bras, car en cet instant l’air sombre de Naam l’effraya, et lui rappela que ce n’était pas le moment de perdre son dévouement.

— Ce que tu veux sera fait, dit Naam en se dirigeant vers la porte.

— Arrête, non ! ce serait pire que tout ! dit Orio en l’arrêtant. Sa sœur et sa tante m’accuseraient, et j’aurais eu l’air de craindre la