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L’USCOQUE.

s’arrêtait devant ce visage pâle et morne, qui semblait, dans sa prostration effrayante, un cadavre sortant des mains du bourreau, et attendant celles qui devaient l’ensevelir. Naam avait vu jadis Orio si prompt, si implacable dans ses terribles résolutions, et maintenant il n’avait plus la force d’affronter l’orage ! Il lui abandonnait le soin de son salut ! Naam prit son parti, fit quelques préparatifs, ferma la porte avec précaution, sortit sans être vue, et se perdit dans le dédale de ces rues étroites, obscures, mal fréquentées, où deux personnes ne se rencontrent pas la nuit sans se serrer chacune de son côté contre la muraille.

— Maudite soit la mère qui m’a engendré ! murmura Orio d’une voix creuse et lugubre, en s’éveillant et en se tordant sur son lit pour secouer le sommeil accablant étendu sur tous ses membres. Est-il possible que je ne puisse jamais dormir comme les autres ! Il faut que je sois assiégé de visions épouvantables et que je m’agite comme un forcené durant mon sommeil, ou bien il faut que je tombe là comme un cadavre, et qu’à mon réveil je sente ce froid mortel et cette langueur qui ressemblent à une agonie ! Naam ! quelle heure ?

Naam ne répondit point.

— Seul ! s’écria Orio, que se passe-t-il donc ? — Il se dressa sur son lit, écarta ses rideaux d’une main tremblante, vit les premières lueurs du matin pénétrer dans sa chambre, et promena des regards hébétés autour de lui, cherchant à retrouver le souvenir des évènemens de la veille. Enfin l’horrible vérité lui revint à l’esprit, d’abord comme un rêve sinistre, et bientôt comme une certitude accablante. Orio resta quelques instans brisé, et sans concevoir la pensée de détourner le coup qui le menaçait. Enfin il se jeta à bas de son lit et se mit à courir comme un fou autour de la chambre. — C’est impossible ! c’est impossible ! se disait-il, je n’en suis pas là ! je ne suis pas abandonné à ce point par la destinée !

— Misérable ! s’écria-t-il en se parlant à lui-même et en se laissant tomber sur une chaise, est-ce ainsi que tu sais maintenant faire face à l’adversité ! Une pierre tombe à tes pieds, et au lieu de te tenir pour averti et de fuir, ou d’agir d’une façon quelconque, tu te couches, tu t’endors, et tu attends que l’édifice entier s’écroule sur ta tête ! Tu es donc devenu une bête brute, ou tes ennemis ont donc jeté sur toi un maléfice ! Damné médecin ! s’écria-t-il en voyant sur sa table la fiole d’opium dont on lui avait fait avaler une partie, ah ! tu étais d’accord avec eux pour m’ôter mes forces et me jeter dans l’impuissance ! Toi aussi, tu me le paieras, infâme ! crains que mon