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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/770

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REVUE DES DEUX MONDES.

TEOU-NGO.

Je demande que l’on étale une natte blanche et que l’on permette que je me tienne debout sur cette natte ; je demande, en outre, que l’on suspende à la lance du drapeau deux morceaux de soie blanche de dix pieds de haut ; si je meurs victime d’une fausse accusation, quand le glaive de l’exécuteur tranchera ma tête, quand mon sang bouillonnant s’élancera de mon corps, ne croyez pas qu’une seule goutte de sang tombe sur la terre, car il ira rougir les morceaux de soie blanche.

LE PROCUREUR-CRIMINEL.

Je puis vous accorder cette faveur ; cela ne souffre pas de difficulté.

TEOU-NGO.

Seigneur, nous sommes maintenant dans cette saison de l’année où les hommes supportent avec peine le poids d’une chaleur excessive ; eh bien ! si je suis innocente, le ciel fera tomber par gros flocons, dès que j’aurai cessé de vivre, une neige épaisse et froide, qui couvrira le cadavre de Teou-ngo.

..........................

(Elle chante.)

« Vous dites que la chaleur est brûlante et que le ciel enflammé ne saurait laisser tomber un seul flocon. Mais n’avez-vous pas entendu parler de la neige que Heou-yeou fit voler dans le sixième mois ? Si réellement je suis remplie d’une indignation qui bouillonne comme le feu, je veux qu’elle fasse voler dans l’air, comme de légers flocons, les fleurs de l’eau glacée ; je veux que ces fleurs enveloppent mon cadavre, afin qu’on n’ait pas besoin d’un char couvert d’une étoffe unie, ni de chevaux blancs pour le transporter dans une sépulture déserte. »

L’EXECUTEUR, élevant l’étendard.

D’où vient donc cette étrange coïncidence ? Le ciel s’obscurcit. (On entend le vent qui souffle.) Voilà un vent glacial !

TEOU-NGO, elle chante.

« Nuages qui flottez dans l’air, à cause de moi obscurcissez le ciel ! Vents puissans, à cause de moi descendez en tourbillons ! Oh ! fasse le ciel que mes trois prédictions s’accomplissent. »

(L’exécuteur frappe Teou-ngo.)
LE PROCUREUR-CRIMINEL, saisi d’épouvante.

Ô ciel ! la neige commence à tomber. Voilà un évènement bien extraordinaire ! »