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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/772

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REVUE DES DEUX MONDES.

vers, sait parler le beau langage, et commente avec sa jeune maîtresse le philosophe Meng-tseu. Survient le beau Pé-ming-tchong, le modèle, non pas des cavaliers, mais des bacheliers chinois, qui cite à propos les classiques, et dont l’examen a fait quelque bruit. Comment résister à un mérite si brillant ? Aussi la jeune Siao-man en a été profondément touchée, elle a même brodé en cachette un petit sac parfumé sur lequel on lit un quatrain ; et ce quatrain, par diverses allusions pleines de finesse, exprime les sentimens de la jeune fille pour le charmant bachelier. Elle forme le projet de jeter en passant le sachet sur le seuil du pavillon dans lequel Pé-ming-tchong se livre à l’étude, ou plutôt rêve à Mlle Siao-man. Mais pour cela il faut aller dans le jardin où est le pavillon. Siao-man meurt d’envie de s’y faire entraîner par la soubrette, mais elle se garderait d’en convenir. Elle paraît tout absorbée dans ses études, et débute par une tirade qui commence ainsi : « Fan-sou, il me vient quelque chose à la mémoire. Du fleuve Ho est sortie la table, du fleuve Lo l’écriture ; quand le Yn et le Yang furent séparés, les huit Koua naquirent. Depuis Fou-hi et Chin-nong ils furent transmis de siècle en siècle jusqu’à Confucius et Mencius… Vint ensuite Hin-chi-hoang… » Et elle ajoute : « Toutes les fois que j’ouvre un livre, je sens mon cœur s’épanouir. » Voilà de belles et graves dispositions ; mais Fan-sou, la maligne soubrette, lui vante les charmes d’une promenade par une belle soirée, au milieu des fleurs, et les deux jeunes filles s’en vont gracieusement folâtrer dans le jardin. Fan-sou chante :

« Les pierres de nos ceintures s’agitent avec un bruit harmonieux ; nos petits pieds, semblables à du nénuphar d’or, effleurent mollement la terre (bis). La lune brille sur nos têtes pendant que nous foulons la mousse verdoyante (bis). La fraîcheur de la nuit pénètre nos légers vêtemens. »

Aux chants de la jeune fille répondent les sons d’une guitare. Pé-ming-tchong chante une romance pour peindre son amour, comme cet autre bachelier Lindor, auquel, du reste, il ne ressemble guère. Après l’avoir entendue, Siao-man dit avec mélancolie : « Les paroles de ce jeune homme vous attristent le cœur. » Pour la jeune soubrette, tantôt effrayée, tantôt rieuse, elle laisse malicieusement sa jeune maîtresse un instant seule. Cet instant suffit pour jeter le sachet parfumé et s’enfuir. Pé-ming-tchong sort et le trouve. Il lit le quatrain, il considère la broderie. Aucune des intentions de Siao-man n’est perdue pour un si fin connaisseur en poésie. Elle a brodé sur le sachet des nénuphars : « Je vois ce qu’il représente, dit l’ingénieux