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DU THÉÂTRE CHINOIS.

licencié. Le cœur du nénuphar porte un nom qui se prononce ngeou, comme celui qui exprime l’union de deux époux ; elle me donne à entendre qu’elle désire m’épouser. » La belle chose que les jeux de mots de la poésie chinoise ! Que ce ngeou est bien trouvé ! Qu’il est commode pour une jeune fille d’exprimer ainsi ses sentimens secrets au moyen d’un cœur de nénuphar !

Le pauvre Pé-min-tchong tombe malade d’amour. La soubrette va le trouver et lui fait de la morale. « Vous n’avez donc pas entendu dire aux bouddhistes : L’apparence est le vide, et le vide n’est autre chose que l’apparence ? — Vous ne connaissez pas cette pensée de Lao-tseu : Les cinq couleurs font que les hommes ont des yeux et ne voient pas, les cinq sons font que les hommes ont des oreilles et n’entendent pas ? — Confucius lui-même n’a-t-il pas dit : Mettez-vous en garde contre la volupté ? »

Mais Pé-min-tchong finit par l’attendrir ; et comment résister à un amoureux qui vous dit : « Ayez pitié de moi ; si vous réalisez ce mariage, je veux transmigrer dans le corps d’un chien ou d’un cheval pour vous servir dans une autre vie. »

Aussi la conversation, entamée si philosophiquement, se termine à l’européenne par une lettre que la soubrette se charge de remettre à sa maîtresse.

Celle-ci, en recevant la galante missive, affecte une grande colère, et la lit pourtant ; elle menace sa suivante de la fustiger. Fan-sou la laisse dire, puis lui montre le sachet aux nénuphars. Et alors c’est elle qui s’amuse à menacer et à effrayer sa maîtresse. Puis, changeant de ton, elle plaide chaudement la cause de l’amoureux bachelier. Elle trouve encore à son service des sentences morales. « Il vaut mieux sauver la vie d’un homme que d’élever une pagode à sept étages. »

Enfin Siao-man se décide à écrire une réponse et la remet à Fan-sou. « À qui la portes-tu ? — À madame votre mère, répond malicieusement la soubrette… Ne vous troublez pas, ajoute-t-elle, c’est au bachelier que je vais la porter. »

La lettre est en vers assez vifs et promet un rendez-vous pour la nuit.

Les paroles coquettement mystérieuses de Fan-sou achèvent de tourner la tête au pauvre inamorato.

PÉ-MIN-TCHONG.

Comment mademoiselle me traitera-t-elle cette nuit ?