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l’ensemble des faits est bien tel qu’il l’a présenté, et que les inexactitudes ou les réticences ne portent que sur des détails de médiocre importance. Les renseignemens fournis par lui peuvent donc servir de base à une appréciation de l’état présent de la domination russe dans l’Asie occidentale, et à des conjectures sur ce qui peut en résulter dans l’avenir.

Et d’abord, il y a tout lieu de penser que l’ascendant de la Russie sur la Perse ira toujours en augmentant, non que la Perse, bien gouvernée, ne put réparer ses revers et retrouver quelque force ; mais il est peu probable que cela arrive. La dynastie régnante est assez nouvelle, puisqu’elle ne remonte qu’à Aga-Mohammed-Khan, assassiné en 1797. Elle appartient à une race méprisée qu’on appelle les Khadzars, et les ministres même du dernier chah, Feth-Ali, se moquaient souvent de sa basse extraction. Ce prince, qui avait soixante-dix ou quatre-vingts fils, avait confié aux aînés le gouvernement de ses diverses provinces, où chacun d’eux s’était fait une souveraineté à peu près indépendante ; et, lorsqu’il désigna Abbas-Mirza pour lui succéder, un autre de ses fils lui dit : « Vous le réglez ainsi, et cela sera peut-être ; toutefois, il faudra que le sabre en décide. » Dans le fait, il y a une guerre civile à chaque changement de règne. Le chah actuel, Mohammed-Mirza, a éprouvé de grandes résistances, de la part de ses oncles, lorsqu’il est monté sur le trône : ses provinces de l’est sont encore aujourd’hui en insurrection, et la Russie profite de cette occasion pour lui fournir des secours tant soit peu intéressés, et pour reconnaître la frontière de l’Afghanistan, au grand déplaisir de l’Angleterre. Nous avons vu, dans l’histoire de la guerre de 1826, combien l’armée persane est mal organisée et mal commandée ; et pourtant elle était alors sous la direction de l’héritier du trône, prince actif et éclairé, admirateur de la civilisation européenne, et faisant tout pour l’introduire dans son pays. L’administration en Perse est vénale, arbitraire, vexatoire : le peuple est vif et intelligent, mais léger, corrompu, sans énergie et sans bonne foi. Toutes ces causes maintiennent l’empire dans un état de faiblesse auquel on ne voit guère de remède, et dont la Russie ne manquera pas de profiter, soit par des conquêtes que son établissement sur l’Araxe lui rend faciles, soit en se faisant la protectrice intéressée du chah, comme elle est déjà celle du sultan. Sa position n’est pas moins avantageuse par rapport aux possessions asiatiques de la Turquie, et on peut prévoir facilement telles circonstances qui lui permettraient d’ajouter à son empire l’Arménie turque et d’occuper les vallées supérieures de l’Euphrate et du Tigre. Main-