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LA PUCELLE DE CHAPELAIN.

Loin des murs flamboyans qui renferment le monde,
Dans le centre caché d’une clarté profonde,
Dieu repose en lui-même…

Ces vers-là atteignent au sublime, si ce grand mot de sublime peut convenir à la malencontreuse renommée de Chapelain. Témoin encore ces vers du premier chant, quand la Pucelle a persuadé Charles VII de sa divine mission, et que les Français recommencent à espérer. Ainsi, dit Chapelain :

Ainsi les voyageurs que la nuit sombre et vaine
A surpris aux déserts de la rive africaine,
Parmi ces monts de sable enflammés et mouvans
Que font et que défont les caprices des vents,
Après mille terreurs, apercevant éclore
Les feux resplendissans de la nouvelle aurore,
Tournent les yeux vers elle, et d’aise transportés,
Pensent voir leur salut en voyant ses clartés.

Mais, encore un coup, je veux négliger les vers pour venir à l’examen du poème. Voyons si dans ce poème il y a quelque grandeur et quelque intérêt dans l’invention des évènemens et des sentimens, si surtout le caractère principal est digne de l’histoire : c’est là le point important.

Vous avez lu les romans de Walter Scott ; vous aimez dans Ivanhoe ou dans Quentin Durward les mœurs du moyen-âge, la loyauté des chevaliers et leur grandeur pleine de naïveté. Écoutez cette scène du siége d’Orléans, dans Chapelain.

Renaud, un jeune guerrier, attaque Suffolk. Voici comment Chapelain peint Renaud :

Son teint est délicat, et, d’un premier coton,
On ne voit pas encor s’ombrager son menton.

Disons, en passant, que Voltaire a trouvé ces deux vers de bonne prise. Suffolk, blessé et ne pouvant plus se défendre, est sur le point de se rendre à Renaud ;

Toutefois, reprend-il, si tu n’es chevalier,
Je ne puis, sous ton joug, ma tête humilier.
— Non, lui repart Renaud, mon âge me l’envie !
Mais j’ai prétendu l’être aux dépens de ta vie.
 — Sois-le donc, dis Suffolk…

Et alors, de sa main défaillante, il arme chevalier son vainqueur.