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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/838

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REVUE DES DEUX MONDES.

Maintenant, poursuit-il, je puis me rendre à toi,
Et comme ton captif me soumettre à ta loi.

Cette scène et ce dialogue mériteraient d’être de Corneille.

Mais ce que j’aime surtout dans Chapelain, c’est le caractère de Jeanne d’Arc. Jeanne d’Arc est vraiment l’héroïne du poème. Toutes les fois qu’elle est en scène, le récit intéresse et émeut, et cela sans emprunter le secours des passions humaines. Jeanne d’Arc garde d’un bout du poème à l’autre cet enthousiasme religieux qui fait son caractère, qui tantôt la pousse au combat et tantôt au martyre, toujours grande, soit par le courage, soit par la résignation, sans cependant être monotone, ce qui, en littérature, est le défaut des caractères vertueux. Quoique Chapelain fût de l’école des poètes et des romanciers qui

Peignaient Caton galant et Brutus dameret
il a pourtant échappé au mauvais goût de son école, grâce au saint respect qu’il a pour son héroïne. Ça lui eût semblé, non une faute de goût seulement, mais un véritable péché, d’animer le personnage de Jeanne d’Arc par quelque passion. J’aime à faire ressortir ce mérite, j’allais presque dire cette vertu de Chapelain, par contraste avec les infamies de Voltaire.

Pour justifier ce que je viens de dire, suivons quelques momens, dans le poème de Chapelain, le caractère de Jeanne d’Arc.

Jeanne d’Arc conduit ses troupeaux dans une plaine près de la Meuse. C’est là qu’un ange descend près d’elle et lui annonce la mission dont elle est chargée.

Bergère, dit la voix :

Calme ton tremblement et dissipe ta crainte ;
Du monarque éternel je suis l’ambassadeur,
Et te viens annoncer ta future grandeur…
Dieu, le Dieu des combats, t’ordonne par ma voix
De partir, d’attaquer et de vaincre l’Anglois !
Puis, d’un céleste feu l’ombrageant tout entière,
Lui souffle du Seigneur la puissance guerrière,
Lui fait dans les regards éclater sa terreur,
Et lui met dans les mains les traits de sa fureur.

Une fois douée de la force qui doit vaincre l’Anglais, elle n’hésite plus. Ce n’est pas son bras qui frappe l’ennemi ; c’est le bras de Dieu, et c’est à Dieu aussi qu’elle attribue et qu’elle renvoie toute la gloire. Ainsi, Orléans est délivré ; les citoyens se pressent autour d’elle, et,