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gondole et mené aux prisons du palais ducal. Tous les serviteurs du palais Soranzo furent également arrêtés, le palais fermé et remis à la garde des préposés de l’autorité. En moins d’une heure, cette habitation si brillante et si riche fut livrée au silence, aux ténèbres et à la solitude.

Orio avait-il bien sa tête lorsqu’il avait ainsi chargé Naam le premier et improvisé cette fable ? Non, sans doute : Orio était un homme fini, il faut bien le dire. Il avait encore l’audace et le besoin de mentir ; mais sa ruse n’était plus que de la fausseté, son génie que de l’impudence.

Cependant il n’avait pas parlé sans vraisemblance, en disant à Naam qu’avec de l’argent tout s’arrangeait à Venise. À cette époque de corruption et de décadence, le terrible conseil des dix avait perdu beaucoup de sa fanatique austérité, les formes seules restaient sombres et imposantes ; mais bien que le peuple frémît encore à la seule idée d’avoir affaire à ces juges implacables, il n’était plus sans exemple qu’on repassât le pont des Soupirs.

Orio se flattait donc, sinon de rendre son innocence éclatante, du moins d’embrouiller tellement sa cause, qu’il fût impossible de le convaincre du meurtre d’Ezzelin. Ce meurtre était, après tout, une grande chance de salut, et toutes les accusations dont Ezzelin eût chargé Orio disparaissaient pour faire place à une seule qu’il n’était pas impossible peut-être de détourner. Si Naam persistait à assumer sur elle seule toute la responsabilité de l’assassinat, quel moyen de prouver la complicité d’Orio ?

Seulement Orio s’était trop pressé d’accuser Naam. Il eût dû commencer par la prévenir et craindre la pénétration et l’orgueil de cette ame indomptable. Il sentait bien l’énorme faute qu’il avait faite lorsqu’il s’était laissé emporter, un instant auparavant, à un mouvement d’ingratitude et d’aversion. Mais comment la réparer ? on l’enfermait à l’heure même, et on ne lui permettait aucune communication avec elle.

Orio avait fait une autre faute bien plus grande sans s’en douter. La suite vous le montrera. En attendant l’issue de cette fâcheuse affaire, Orio résolut d’établir, autant que possible, des relations avec Naam ; il demanda à voir plusieurs de ses amis, cette permission lui fut refusée ; alors il se dit malade et demanda son médecin. Peu d’heures après Barbolamo fut introduit auprès de lui.

Le fin docteur affecta une grande surprise de trouver son opulent et voluptueux client sur le grabat de la prison. Orio lui expliqua sa