Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
L’USCOQUE.

jeune homme votre serviteur et tous les gens de votre maison, dit le chef des agens. Veuillez me suivre.

— J’obéis, dit Orio d’un ton hypocrite. Jamais le pouvoir sacré qui vous envoie ne trouvera en moi ni résistance ni crainte, car je respecte son auguste omnipotence, et j’ai confiance en son infaillible sagesse. Mais je veux ici faire une déclaration, premier hommage rendu à la vérité qui sera mon guide austère en tout ceci. Je vous prie donc de prendre acte de ce que je vais révéler devant vous et devant tous mes serviteurs. J’ignore pour quelle cause vous venez m’arrêter, et je ne puis présumer que vous sachiez les choses que je vais dire. C’est à cause de cela précisément que je veux éclairer la justice et l’aider dans son rigoureux exercice. Ce serviteur que vous prenez pour un jeune homme, est une femme… Je l’ignorais, et tous ceux qui sont ici l’ignoraient également. Elle vient de rentrer ici tout-à-l’heure en désordre, le visage et les mains ensanglantées, comme vous la voyez. Pressée par mes questions et effrayée de mes menaces, elle m’a avoué son sexe et confessé qu’elle venait d’assassiner le comte Ezzelin, parce qu’elle l’a reconnu pour le guerrier chrétien qui a tué son amant dans la mêlée, à l’affaire de Coron, il y a deux ans.

L’agent fit sur-le-champ écrire la déclaration de Soranzo. Cette formalité fut remplie avec l’impassible froideur qui caractérisait tous les hommes affiliés au tribunal des dix. Tandis qu’on écrivait, Orio, s’adressant à Naam dans sa langue, lui expliqua ce qu’il venait de dire aux agens et l’engagea à se conformer à son plan. — Si je suis inculpé, lui dit-il, nous sommes perdus tous les deux ; mais si je me tire d’affaire, je réponds de ton salut. Crois en moi, et sois ferme. Persiste à t’accuser seule. Avec de l’argent, tout s’arrange dans ce pays. Que je sois libre, et sur-le-champ tu seras délivrée. Mais si je suis condamné, tu es perdue, Naam !…

Naam le regarda fixement sans répondre ; quelle fut sa pensée à cet instant décisif ? Orio s’efforça en vain de soutenir ce regard profond qui pénétrait dans ses entrailles comme une épée. Il se troubla, et Naam sourit d’une manière étrange. Après un instant de recueillement, elle s’approcha du scribe, le toucha, et, le forçant de la regarder, elle lui remit son poignard encore sanglant, lui montra ses mains rougies et son front taché. Puis, faisant le geste de frapper, et ensuite portant la main sur sa poitrine, elle exprima clairement qu’elle était l’auteur du meurtre.

Le chef des agens la fit emmener à part, et Orio fut conduit à la