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au besoin le métier de fossoyeur et de battre le tambour pour les annonces et les convocations. Quels sont donc ceux qui se résignent à un esclavage aussi avilissant ? Des gens affamés pour la plupart, et d’une ignorance telle, qu’ils sont rarement en état d’ortographier, que les inspecteurs en ont signalé plusieurs qui ne savent pas écrire, et que certains, vers les frontières, n’entendent pas même un mot de la langue nationale.

Quand la science a de pareils représentans, faut-il s’étonner que les gens de la campagne répondent par un sourire méprisant à toutes les phrases qu’on leur peut faire sur les bienfaits de l’instruction ? Il est triste de le dire, les bienveillantes intentions de nos législateurs sont accueillies dans les chaumières avec froideur, avec crainte peut-être. L’homme des champs n’est plus tel que nous le rencontrons dans les livres, quand on le surprend en lutte contre l’âpreté du sol et l’inclémence des saisons, aigri par la fatigue du présent et le vague effroi de l’avenir. Cupide alors, envieux, défiant, ingrat, il végète dans une véritable enfance morale, et, pour parvenir à lui être utile, il faudrait user d’artifice comme avec l’enfant. Pour lui, la paternité n’est pas un devoir, mais une source de revenu. Dans les contrées agricoles, il trouvera moyen de mettre ses enfans en rapport, même avant l’âge où leur intelligence est éveillée. Plus à plaindre encore dans les pays industriels, ces débiles créatures seront jetées dans l’atelier comme autant de machines vivantes, flétries dans leur croissance par une atmosphère chargée de vapeur, et assourdies par le roulement des métiers. L’enfant, dans les Landes, passera une semaine, errant à l’aventure, sans autre compagnie que celle des bestiaux qui lui sont confiés, et le dimanche seulement il lui sera permis de se rapprocher du toit paternel. Pour les enfans du Cantal et de l’Auvergne, l’exil est plus long et plus abrutissant encore, puisqu’on les envoie dans nos grandes villes, où ils conservent le triste monopole du ramonage. En général, si les enfans paraissent dans les écoles, c’est pendant l’interruption des travaux. — « Sur presque tous les points de la France, dit M. Lorain, l’école n’est pas fréquentée plus de trois mois : c’est le terme moyen qu’il convient de prendre entre les pays où les enfans s’y rendent quatre ou cinq mois, et ceux où deux mois sont réputés suffire pour leur instruction chaque année. » — Pense-t-on qu’en ce dernier cas, les parens s’imposent quelques sacrifices ? Ce serait se tromper. Ils réclament le privilége de l’indigence pour ne pas payer la faible rétribution allouée au maître. Ils se refusent à toute dépense pour les fournitures de classe. À leur avis, on peut apprendre à distinguer les lettres dans tout imprimé, et le meilleur livre de lecture est celui qu’on trouve dans son grenier et qui ne coûte rien. De là une bigarrure qui rend impossible l’application des meilleures méthodes d’enseignement. Les inspecteurs ont remarqué dans les mains des enfans, des livres d’algèbre, de médecine, de jurisprudence, des pamphlets philosophiques ou politiques : ils en citent plusieurs, comme le Bon sens du curé Meslier, ou le Cauchemar du juste-milieu.

Nous avons enregistré déjà nombre de difficultés, sans avoir signalé la plus