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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/873

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REVUE LITTÉRAIRE.

scrupuleuse, de tact moral sous-entendu et, je le dis au sens antique, de chasteté !

M. Théophile Gautier en manque trop souvent dans sa poésie et surtout dans ses romans. En indiquant Fortunio au titre de l’article, je n’ai pas prétendu en donner l’analyse ni en parler longuement. L’esprit y abonde ; mais qu’en dire de plus ? Si l’auteur a voulu faire la critique des orgies du jour et montrer l’esclave ivre au jeune Lacédémonien, il a trop bien réussi :

Pour vos petits boudoirs, il faut des priapées.
S’il a voulu railler le jargon pittoresque à la mode et pousser à bout ce travers littéraire d’aujourd’hui qui paraîtra bientôt aussi inconcevable que le bel-esprit de Mercutio, ou celui des Précieuses, ou celui encore de Crébillon fils, son pastiche a de quoi faire illusion, et il épuise le genre. Quelle que soit l’abondance de saillies de l’écrivain humouriste, son ironie prolongée, dans l’absence de toute passion, ne saurait défrayer un volume et n’y sauve pas la froideur, en même temps que l’excessif ragoût du style engendre vite le dégoût. C’est bien en lisant ce volume qu’on sent à nu l’inconvénient d’un système dans lequel le but et le sentiment sont si disproportionnés à l’expression, d’un art exagéré chez qui la forme surmonte, écrase si étrangement le fond, et qui, en ses jours de débauche, édifierait volontiers une église de Brou comme catafalque au moineau lascif de Lesbie.

J’aime infiniment mieux M. Gautier dans ses vers. Là du moins la forme est plus à sa place, et puis le sentiment n’en est jamais absent comme en prose. Je n’ai pas dit de ses poésies tout ce qu’elles suggéreraient dans les détails ; il y en a de charmans, et qui le seraient surtout si quelque trait à côté n’y faisait tache, ou s’ils n’étaient en général compromis par le reflet, une fois reconnu, de l’ensemble. Sans prétendre juger la querelle au fond, quoi de plus légitime dans la bouche du poète pittoresque, quoi de plus gracieusement et poétiquement plaidé que ces vers à un jeune Tribun ?

Ami, vous avez beau, dans votre austérité,
N’estimer chaque objet que par l’utilité,
Demander tout d’abord à quoi tendent les choses
Et les analyser dans leurs fins et leurs causes ;
Vous avez beau vouloir vers ce pôle commun
Comme l’aiguille au nord faire tourner chacun ;
Il est dans la nature, il est de belles choses,
Des rossignols oisifs, de paresseuses roses ;
Des poètes rêveurs et des musiciens
Qui s’inquiètent peu d’être bons citoyens,
Qui vivent au hasard et n’ont d’autre maxime,
Sinon que tout est bien pourvu qu’on ait la rime,
Et que les oiseaux bleus, penchant leurs cols pensifs,
Écoutent le récit de leurs amours naïfs.
Il est de ces esprits qu’une façon de phrase,