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« Le comte Ezzelin dit alors au docteur qu’il le verrait plus à loisir pour lui parler de ses affaires, mais que, pour le moment, il le priait d’excuser son inquiétude, et de l’aider à éclaircir un fait bizarre. Un joueur de luth, qu’à son costume il avait cru reconnaître pour l’esclave arabe de messer Orio Soranzo, était venu sous la fenêtre de la signora Argiria, et avait semblé chercher à braver la défense du maître de la maison, qui lui prescrivait du geste et de la voix d’aller faire de la musique plus loin. Le comte Ezzelin, impatienté, était sorti et s’était lancé à sa poursuite ; mais s’étant avisé qu’il était sans armes, et que ce musicien pouvait bien être le provocateur d’un guet-apens (d’autant plus que le comte avait de fortes raisons pour penser que messer Soranzo lui tendrait quelque embûche), il était rentré pour prendre son épée. Au moment où il passait la porte de son palais, son brave et fidèle serviteur Danieli en sortait, et, inquiet de cette aventure, venait à son aide. Danieli courut sur le joueur de luth. Pendant ce temps, le comte rentra dans une salle basse, et prit à la muraille une vieille épée, la première qui lui tomba sous la main. Il fut retenu quelques instans par sa sœur épouvantée, qui s’était jetée dans les escaliers, et qui tremblait pour lui. Il eut quelque peine à se dégager ; mais, s’étonnant de ne pas voir revenir Danieli, il s’élança dans la même direction. Voyant cette rue déserte et silencieuse, il avait pris à gauche, et avait couru et appelé quelques instans sans succès. Enfin, il était revenu sur ses pas ; ses autres serviteurs, s’étant levés, l’avaient aidé à chercher Danieli. L’un d’eux prétendait avoir entendu une espèce de cri et la chute d’un corps dans l’eau. C’était même ce qui l’avait éveillé et engagé à se lever, bien qu’il ne sût pas de quoi il s’agissait. Tous les efforts du comte et de ses serviteurs pour retrouver le bon Danieli avaient été inutiles. Quelques traces de sang mal essuyées sur les marches du tragnet leur causaient une vive inquiétude. Le docteur raconta ce qu’il avait vu. On reprit alors, avec la sonde, les recherches sur la rive. Mais au bout de quelques heures, on retrouva le corps de Danieli, qui surnageait à l’autre extrémité du canal. »

Ainsi, se dit Orio, dévoré d’une rage intérieure, Naam s’est trompée, et c’est moi qui me suis livré moi-même en déclarant à la police que le coup était destiné au comte Ezzelin !

Le docteur ayant confirmé sa déclaration, le comte Ezzelin fut introduit.

— Monsieur le comte, lui dit le juge examinateur, vous avez annoncé que vous aviez d’importantes déclarations à faire sur la conduite