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LETTRES SUR LA SITUATION EXTÉRIEURE.
v.
Monsieur,

Près de cinq ans déjà se sont écoulés depuis la mort de Ferdinand VII. Sept jours après, les provinces du nord-est de l’Espagne étaient en insurrection, pour défendre et leurs fueros qui n’étaient pas attaqués, et les droits de don Carlos à la couronne, que lui avait enlevés le testament de son frère, en rétablissant l’ordre de succession qui avait placé sur le trône de Madrid un petit-fils de Louis XIV. Aujourd’hui, non-seulement cette insurrection dure encore, mais elle embrasse la moitié du royaume ; elle est soutenue par des armées nombreuses, elle a une diplomatie, elle se rattache par quelque chose de plus que des vœux et des espérances à un parti puissant en Europe, elle use les uns après les autres tous les hommes et épuise toutes les ressources de la Péninsule, reprenant toujours des forces nouvelles au moment même où ses amis et ses ennemis la croient le plus près de succomber. Les années se passent au milieu d’angoisses inexprimables ; les ministres changent ; les systèmes du gouvernement se modifient ; tantôt les idées de modération et d’ordre, tantôt l’appel aux passions populaires ; tout s’use en vains efforts, tout se brise contre des obstacles insurmontables jusqu’à présent, et l’on ne pense pas sans frémir que cette guerre de succession, si impitoyable, marquée par tant de catastrophes, aura bientôt duré aussi long-temps que la guerre de l’indépendance, commencée en juin 1808 et terminée de droit en 1813.

Ce tableau vous paraîtra bien sombre, quoique je n’en aie pas chargé les couleurs ; et cependant, je ne sais si vous l’aurez remarqué, la question espagnole a perdu tout son intérêt. Le public ne suit plus que d’un œil inattentif et distrait les vicissitudes de la guerre civile et la marche des affaires à Madrid. Bien des gens accusent, à tort ou à raison, la nation espagnole elle-même d’être devenue presque indifférente à ses propres destinées, et se sont enfin lassés d’y penser et de s’en préoccuper pour elle. Voilà le véritable état de l’opinion à cet égard. De temps à autre, un évènement (et ils sont rares) réveille pour quelques instans des espérances ou des craintes inutiles, auxquelles on se reproche ensuite de s’être livré, car le résultat ne répond jamais à ce qu’on pourrait attendre des faits en apparence les plus graves ; et au milieu de cette universelle indifférence, les passions politiques dont la question d’Espagne avait été l’aliment, à une époque déjà bien éloignée, ont eu le temps de prendre successivement deux ou trois autres devises. Je puis donc vous parler froidement de l’état actuel de l’Espagne, sans courir le risque de ranimer des discussions éteintes sur un terrain abandonné de tous les partis.

L’Espagne a présenté l’année dernière un singulier spectacle. Le pouvoir y est sorti brusquement des mains révolutionnaires et fort peu habiles auxquelles l’avaient fait tomber les évènemens de la Granja, et la représentation nationale, régulièrement organisée sur les bases de la constitution que venait d’élaborer une assemblée aux opinions très ardentes, a soutenu imperturbable-