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Nous ne pouvons compter que sur nos colonies pour la consommation des produits de notre pêche, dont l’existence dépend d’elles. Réunies, ces deux branches inséparables font les deux cinquièmes de notre navigation totale, et, sous ce point de vue, nous sommes déjà si pauvres, que nous devrions redouter le moment qui approche, où cette nouvelle réduction s’effectuera ; mais avec les idées qui prédominent, nous n’avons pas la confiance que nos faibles efforts puissent rien faire pour conjurer une perte aussi désastreuse. Il faudrait, pour faire triompher la vérité, des voix plus puissantes que la nôtre.

Nous sommes loin d’avoir épuisé un sujet aussi important. Nous avons signalé le mal, avec la conviction qu’une volonté ferme que nous n’apercevons chez personne, peut seule y appliquer le remède. Il faut des colonies aux peuples commercans et navigateurs. Pour les États-Unis, divisés en deux grandes régions, l’une de ces régions est la colonie de l’autre, l’une au sud produit, l’autre trafique, échange et exporte. La Grande-Bretagne s’assure de nouvelles ressources dans l’Inde, mais elle a fait, en faveur des Indes occidentales, d’assez grands sacrifices pour que nous jugions du prix qu’elle attache encore à la prospérité future de ces belles îles. Un peuple moins puissant en Europe, mais dont la constance ne s’est jamais démentie, la Hollande, a porté tous ses soins vers Java, presque la seule possession importante qu’elle ait conservée. En 1826, le mouvement commercial de cette île était, soit à l’entrée, soit à la sortie, de 15 millions de florins, ou près de 32 millions de francs. Il s’est élevé à 41 millions de florins, ou 87 millions de francs en 1836. Dans le même espace de temps, notre mouvement avec nos propres colonies, la pêche comprise, est resté absolument stationnaire et limité à 68 millions de francs, à l’entrée valeur officielle, et environ 50 millions à la sortie.

Vouloir de la puissance sans marine militaire, de la marine militaire sans commerce et sans navigation marchande, une navigation marchande sans pêche et sans colonies, et enfin des colonies sans veiller à leur existence et à leur intérêt, c’est ce qu’il n’est donné à personne d’obtenir. Quelques-uns diront que nous pouvons nous passer de tout cela !… Pour nous, nous n’avons pas le courage d’un pareil aveu.


D. L. Rodet.