Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
100
REVUE DES DEUX MONDES.

que soient les caprices désordonnés où il s’abandonne, on n’en doit tenir compte qu’à l’impétuosité de sa nature, à la fougue excentrique de son tempérament révolutionnaire. Dès le premier jour, M. Berlioz a dédaigné d’arriver à la renommée par les moyens communs : les portes tardaient à s’ouvrir devant lui, il les a brisées. Il a passé par la théorie avant d’en venir à l’œuvre ; il a déblayé le terrain des plantes qui pouvaient l’offusquer ; il s’est fait son arène et son public, il s’est fait tout, jusqu’à son ciel, qu’il a lui-même peuplé de dieux. Aussi maintenant il s’agit de vaincre à la face du monde, convoqué à si grand bruit. M. Berlioz n’ignore pas quelle responsabilité terrible pèse sur sa tête. Quand on s’est annoncé de la sorte, on n’a plus le droit de fléchir ; et pour les Titans qui escaladent le ciel sans en rapporter le feu sacré, notre époque a le ridicule : fâcheux vautour qui vaut bien celui de Prométhée.

Naturellement M. Berlioz devait se trouver mêlé au mouvement poétique qui éclata sur les dernières années de la restauration. Les manifestes ambitieux, les beaux systèmes proclamés à son de trompe dans tous les carrefours de la littérature, étaient faits pour exalter une imagination fougueuse et militante comme la sienne. M. Berlioz devait se lier avec les principaux chefs du parti et subir l’influence romantique, aussi bien et plus peut-être que tant d’autres esprits généreux qui se laissèrent égarer alors ; car, avant tout, M. Berlioz est musicien, et sa nature, au fond peu littéraire, ne pouvait le tenir en garde contre certaines illusions qui, grâce à un esprit de discussion et de critique encore peu exercé, ont subsisté pour lui long-temps après s’être évanouies pour les autres. Telle est, du reste, la destinée de toutes ces théories aveugles qui tombent d’elles-mêmes et sous le coup de leur propre exagération. Les poètes, gens du reste assez faciles à se laisser éblouir un instant, mais en qui veille toujours le sentiment de la beauté régulière puisée aux sources éternelles, les poètes finissent tôt ou tard par ouvrir les yeux, et, voyant qu’on les a trompés, se retirent. Les peintres et les musiciens, au contraire, tant qu’il y a de la couleur ou des sons dans l’air, se laissent ravir et demeurent à leur place sans trop s’enquérir de l’idée qui seule féconde et vivifie. Il suffirait de jeter les yeux sur un passé encore près de nous pour se convaincre qu’en pareille occasion les choses n’ont pas une autre issue. Le romantisme pur n’existe plus guère que dans la musique ; c’est là qu’il faut désormais qu’on aille le chercher. Féconde ou stérile, heureuse ou fatale, l’impulsion vient de la poésie ; la musique, la peinture, les autres arts enfin ne la re-