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MUSICIENS FRANÇAIS.

prouvé à M. Berlioz, chaque fois qu’il leur en a donné l’occasion. La fanfare surtout que les cuivres entonnent, après le roulement lugubre des basses, est le jet grandiose, irrésistible, d’un beau mouvement spontané. Voilà un effet légitime, et qui, pour ne pas sortir des limites naturelles de l’art, ne perd rien en éclat, en puissance, en énergie même. Toutes les ressources instrumentales sont mises en jeu ; mais, cette fois, sans abus, à la manière des grands maîtres d’Allemagne, selon les lois inviolables de la composition et de l’harmonie. On sent que la grande ombre de Beethoven se meut dans toute cette partie de la Symphonie fantastique. Heureux M. Berlioz lorsqu’il peut se rattacher à Beethoven, même à son ombre ! Tout à l’heure, dans les morceaux suivans, vous allez le voir seul, livré à son propre enthousiasme, en proie à ses inspirations personnelles, se débattre, s’emporter et se perdre sous un océan de notes confuses, qui montent ou descendent, s’apaisent ou s’irritent, sans que nulle volonté supérieure semble les contenir ou les pousser, et vont à leur gré, en dehors de toutes les convenances du rhythme, de toutes les lois de la mesure, de toutes les traditions humaines, du goût et du sens commun.

M. Berlioz affectionne les marches avec raison, puisqu’il y réussit ; d’ailleurs, cette forme se prête à merveille à ces fantaisies qu’on lui connaît de musique imitative et pittoresque. Au moins quand M. Berlioz compose une marche, il peut se donner le plaisir de voir passer ce qu’il chante et satisfaire à loisir les oreilles de ses yeux. Tantôt c’est un condamné qu’on mène au supplice : de sombres pénitens ouvrent le cortége, une torche de résine à la main, leur capuchon noir rabattu sur leur face ; vient ensuite un détachement de la force armée, puis le patient, l’œil hébété, les lèvres collées sur un crucifix qu’un moine lui présente ; suivent les grenadiers à cheval ; les clairons sonnent et dominent les rumeurs du peuple qui gronde et s’agite en tous sens. On arrive sur la place, le greffier lit la sentence, etc. Tantôt ce sont de braves pèlerins vêtus de gris, qui s’en vont en terre sainte, vivant de noix frugales qu’ils cassent avec les cailloux de la route, d’eau qu’ils puisent dans le creux de leur main, et s’arrêtant à toutes les chapelles où la cloche tinte. De la sorte, la musique a d’un côté les clairons, les tambours, les cris du peuple, tout l’appareil enfin de ces horribles fêtes où l’on jette à la foule une tête d’homme pour hochet ; de l’autre, les cloches de vêpres ou de matines, les coquilles qui s’entrechoquent, l’eau qui tombe dans les gourdes qu’on emplit, le cri du rouet que file une