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pourtant celle qui a dû tant de fois les faire tressaillir, lorsqu’ils pouvaient se dire en face de tout un peuple assemblé : « Ces larmes, ces frémissemens, cet enthousiasme, tout cela, c’est ma pensée, c’est mon souffle, c’est mon œuvre ! » car ils avaient pour eux l’acclamation unanime, ce fruit divin de l’arbre de science, qu’il ne vous est pas donné de cueillir. Mais, de grace, cessez de vous dire maîtres et créateurs, puisque votre pensée avorte chaque fois qu’elle vient au monde, puisque votre inspiration ne parle pas les langues des hommes.

C’est par la Symphonie fantastique que le nom de M. Berlioz se révéla pour la première fois : la Symphonie fantastique ! œuvre singulière, faite pour reculer toute idée qu’on peut avoir de l’étrange, du bizarre, de l’inoui ; débauche de l’orchestre, où toutes les lois de la composition sont délibérément violées ; débat tumultueux, profond, lamentable, où le caprice d’une imagination exaltée et vagabonde arrache impérieusement à la méthode tous les élémens qu’elle classe et dispose, et les pousse au hasard pêle-mêle dans la dissonance et la confusion ; où l’harmonie est battue de verges ; où des rhythmes avortés et boiteux raillent la mesure, et dansent en chœur dans les ténèbres d’un chaos que sillonnent çà et là, il faut le dire, de splendides éclairs de lumière. On était alors en un temps où le succès se mesurait sur la hardiesse et la témérité de la conception. Il suffisait de semer le scandale dans le sol des arts pour recueillir la renommée : triste fleur de renommée, en vérité, qui séchait bien vite au soleil. N’importe : cette œuvre souleva de vives querelles, dont le nom de M. Berlioz ne manqua pas de tirer profit, comme on le pense. Au reste, on ne peut le nier, il y a dans la Symphonie fantastique des beautés d’un ordre supérieur, qui vous étonnent, et révèlent, chez le musicien, de nobles facultés d’énergie et de force dramatique, qu’une direction régulière aurait infailliblement conduites à de fort sérieux résultats. On trouve par momens, sur les flots livides de cet Érèbe ténébreux qu’un vent de soufre agite, de transparentes perles dignes de rouler sur les sables d’or de l’océan divin. Ainsi, par exemple, le temps de valse qui éclate sur toutes les harpes, dans le second morceau, intitulé, je crois, le Bal, est une phrase heureuse, pleine de délire et de volupté folle, qui rappelle de loin, non par le motif, mais par son caractère d’originalité, une des plus intéressantes mélodies de Weber, l’Invitation à la valse, boutade sublime qui vaut l’inspiration. Quant à la Marche au supplice, un musicien qui ferait souvent de pareilles rencontres, n’aurait jamais à se plaindre de la rigueur de la critique ou de l’indifférence du public : l’un et l’autre l’ont assez