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MUSICIENS FRANÇAIS.

que tous ces morceaux, par leur forme bizarre et laborieusement originale, comme aussi par le caractère des idées qu’on peut y découvrir çà et là, se rattachent, les unes aux symphonies du musicien qui nous occupe, les autres au cycle de ces opéras qui s’ouvrent par la partition de Benvenuto Cellini, et n’en sont, du reste, que d’assez médiocres appendices.

Pour quiconque a suivi les différentes entreprises de M. Berlioz, il était facile de calculer à quels résultats dramatiques ce musicien en viendrait le jour qu’il lui serait donné d’aborder la scène, et de lire, en quelque sorte, son théâtre dans ses symphonies. Quant à nous, la représentation de Benvenuto n’a fait que confirmer nos prévisions à cet égard. Il y a, dans la pratique des forces instrumentales, certaines habitudes exclusives que l’on contracte avec le temps et dont la musique dramatique ne peut s’accommoder en aucune façon : influence fâcheuse à laquelle les plus grands esprits, Chérubini, Méhul, Beethoven lui-même, n’ont pu se soustraire lorsqu’ils ont quitté l’orchestre, leur première patrie, pour s’emparer du théâtre. En effet, que dire des partitions de Médée, de Stratonice, de Fidelio, sinon que ce sont de magnifiques symphonies, où la voix joue çà et là son personnage, personnage, du reste, assez subalterne et mesquin, sorte de confident dont le rôle se borne à donner la réplique à l’orchestre, héros sublime de la tragédie ? Les Italiens sont les seuls qui sachent le mystère de la voix humaine, les seuls qui comprennent quelles jouissances indicibles, quelles inappréciables voluptés il y a dans les éclats soudains ou les frémissemens d’une belle voix éplorée, au timbre d’or, qui se déploie et se déroule comme une nappe de cristal au soleil. Les Italiens sont les seuls qui ne confondent pas la voix humaine, don de Dieu, avec un instrument de cuivre sorti de la boutique du luthier. Il est vrai que les Italiens ne font pas de symphonies, et que la gloire de Joseph Haydn et de Beethoven leur manque ; mais, à ce compte, ne pourrait-on pas dire aussi que Cimarosa, Rossini, Bellini, et tant d’autres qui chantent si bien, manquent à l’Allemagne ? Il n’y a guère que Mozart qui ait jamais su concilier toute chose sur ce point, et tenir, dans ses opéras, l’orchestre à distance de la voix humaine, lion enchaîné aux pieds de sa blonde et royale maîtresse. Ce qui n’empêche pas Mozart, dans ses symphonies, de conduire ses masses instrumentales en génie supérieur, et de donner à l’orchestre, dans l’occasion, les plus grands airs qu’il puisse prendre : témoin l’ouverture de Don Juan, l’ouverture de la Flûte enchantée. Mais sitôt qu’il s’agit d’opéra, son inspiration change, et la mélodie se révèle