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Quoi qu’il arrive, la Suisse est entrée dans une voie bien fausse. Peut-elle sérieusement se persuader qu’un état qui tient, par ses frontières, à la France, à l’Allemagne et à l’Italie, puisse impunément devenir un atelier d’intrigues et un lieu de refuge pour les ennemis de l’ordre dans tous les pays ? De Genève à Bâle, c’est la France qui est intéressée à ce que la Suisse ne protége pas des réfugiés et des hommes dangereux ; de Genève au lac Majeur, c’est la Sardaigne qui a intérêt à ce que les cantons ne se croient pas en droit de protéger les conspirateurs ; du lac Majeur jusqu’à l’Inn, la Suisse a des portes sur la Lombardie ; de là au lac de Constance, la Suisse communique à la Bavière ; plus loin, elle touche au grand duché de Baden. L’Europe entière, puisqu’on a invoqué l’Europe, l’Europe centrale du moins, ne peut souffrir que les cantons s’arrogent le droit de couvrir d’une lettre de bourgeoisie ceux qui voudraient la troubler. En ce sens, la France est peut-être le gouvernement le plus modéré de tous ceux qui figurent le long des lignes frontières de la Suisse, et qui ont le droit de s’enquérir de ce qui se passe dans son sein. Sans doute, la Suisse peut livrer un large passage vers plusieurs de nos départemens, et ce passage, elle l’a livré déjà ; mais c’est justement pour cela que la France a intérêt à maintenir la nationalité de la Suisse, violée tant de fois. Or, sait-on ce que c’est qu’un état neutre au milieu d’autres états qui ont entre eux des alliances étroites, des ligues offensives et défensives ? La France, dit un des journaux que nous avons cités, n’a que l’alliance de la Suisse sur le continent. C’est au contraire la Suisse qui se trouve dans ce cas, et l’isolement d’un pays aussi faible et aussi fortement entouré qu’est la Suisse, tire bien autrement à conséquence que le nôtre. De tous les voisins de la Suisse, la France est le seul qui puisse désirer sincèrement le maintien de son organisation actuelle ; c’est la seule puissance qui pourrait la défendre si elle était menacée ouvertement, comme elle l’est toujours plus ou moins d’une manière occulte. En s’attaquant à la France, soit par ses discours, soit par ses actes, la Suisse mordrait le sein de sa mère ; elle s’aliénerait une puissance dont les devoirs de voisinage ne consistent pas seulement, comme ceux de la Suisse, à s’abstenir de troubler l’état limitrophe, mais encore à le défendre, et cela depuis bien des années, contre d’autres états qui ont un intérêt bien réel à changer la forme de son gouvernement.

Si l’opposition ne parvient pas à réduire le gouvernement au moyen de M. Louis Bonaparte et des puissances étrangères, elle le fera, sans nul doute, par la réforme électorale. L’opposition est occupée, en ce moment, à faire signer à la garde nationale une pétition tendant à accorder le suffrage électoral à tous les gardes nationaux. L’opposition en masse a d’abord donné les mains à ce projet ; puis sont venus les aveux et les restrictions : les aveux comme celui du Temps, qui engageait tous les journaux opposans à souscrire à la mesure, même si elle n’était pas conforme à leurs principes ; les restrictions, comme celle du Bon Sens, qui souscrit à la pétition, à la condition que si tout garde national est déclaré électeur, tout citoyen sera déclaré