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des prétentions du vice-roi et la véritable question qui s’agite entre le sultan et lui, entre lui et l’Europe ; mais c’est à dessein. On pourrait dire indépendance. Je ne vais pas aussi loin. L’indépendance me paraît être le dernier terme d’un développement politique qui peut encore passer par plusieurs phases intermédiaires, avant d’atteindre la situation officielle et définitive par laquelle il doit être complété. Je crois que ce mot de sécurité résume tout ce qu’il y a de réel et de juste dans les désirs de Méhémet-Ali, que ce besoin explique son agitation incessante, ses menaces de guerre si souvent renouvelées. Je sais bien que, dans l’état actuel des choses, il a pour garantie du maintien de sa puissance, cette puissance même et les forces considérables dont il dispose ; mais ce n’est pas assez pour lui. Avant tout, ce qu’il ne veut pas, c’est que le divan de Constantinople puisse le faire entrer complètement dans la sphère de sa politique, le soumettre aux influences que subit le sultan Mahmoud, aux combinaisons de toute nature que celui-ci adopte, tantôt par l’ascendant de Khosrew-Pacha, tantôt par celui de Reschid, toujours sous l’empire d’une pensée ennemie de sa grandeur. Méhémet-Ali veut plus encore ; il veut que l’hérédité de ses pachalicks soit assurée à sa famille, au moins à son successeur immédiat. C’est là son ultimatum ; c’est le minimum de ses prétentions. Je n’ai pas le courage de lui donner tort.

Il y a quelque temps, un mot, un seul mot, faisait tous les frais de la polémique sur la question d’Égypte. C’était le statu quo. On ne demandait au sultan d’un côté, à Méhémet-Ali de l’autre, que le maintien du statu quo, avec toutes les chances, bonnes et mauvaises, qu’il laissait aux deux parties intéressées. L’Europe entière, disait-on, n’avait eu que cette pensée depuis le rétablissement de la paix en 1833, quand son intervention avait arrêté, à trois journées de marche de Constantinople, les étendards victorieux d’Ibrahim-Pacha. Là se bornaient ses efforts. Elle avait réussi à contenir, en 1834 ou 1835, les ressentimens de la Porte Ottomane. Le pacha d’Égypte avait conservé Adana et ses précieuses forêts ; il s’était impunément fortifié contre des hostilités éventuelles dans les défilés du Taurus qu’il avait rendus impraticables. L’Europe n’avait-elle pas le droit de lui imposer, à son tour, quelques sacrifices d’ambition et de vengeance ? Voilà les raisonnemens que l’on faisait valoir pour déclarer, en termes d’une heureuse concision, que l’ennemi de l’Europe, en Orient, c’était la guerre et par conséquent le premier qui la rallumerait. On pouvait comprendre cette politique et l’adopter faute de mieux, dans un temps où l’on prend à tâche d’ajourner toutes les solutions, ce qui ne les rend pas plus faciles le jour où il devient impossible de reculer davantage et de rejeter sur l’avenir autant d’embarras qu’on le peut. Ce système de temporisation et d’attermoiement, je vous l’ai exposé et je l’ai défendu de mon mieux, sans enthousiasme, il est vrai, mais en me plaçant au point de vue de la modération et de la prudence. Assurément je ne le déserte pas, mais je suis maintenant inquiet sur son compte ; je le vois menacé de nouveau, et ce n’est plus Alexandrie qui prend l’offensive, c’est Constantinople. Je n’avais donc pas tort de vous parler de sécurité pour Méhémet-Ali ; car on