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pas dans les annales des peuples de spectacle plus digne de méditation que celui de cette association si habilement ménagée.

Avant d’étudier l’Angleterre au XIXe siècle, nous voudrions esquisser ce vaste tableau qui seul préparerait l’intelligence des questions contemporaines ; car en aucun pays il ne faut, pour comprendre le présent, remonter plus haut dans le passé. Or, deux grands faits ont spécialement imprimé leur caractère au gouvernement de la Grande-Bretagne, deux faits qui ont été pour lui l’origine de la force sur laquelle il s’appuie et des obstacles qu’il rencontre, la conquête normande et le protestantisme. Nous essaierons de caractériser l’un et l’autre dans leurs résultats politiques.

L’Angleterre a été façonnée par l’aristocratie comme la France a été faite par la royauté. Si l’histoire de celle-ci se résume dans l’alliance du peuple avec ses rois contre l’oppression féodale, celle de la contrée voisine est contenue tout entière dans l’association constante des barons et du peuple contre le despotisme de la couronne.

Ces deux nationalités se développèrent dans des circonstances distinctes, et sous beaucoup de rapports opposés.

Lorsque les Francs envahirent les Gaules, les chefs des conquérans exerçaient à grand’peine une suprématie contestée. Contraints de diviser entre leurs compagnons le sol immense dont ils venaient de se rendre maîtres, le lien féodal par lequel ils rattachèrent ces grands fiefs à la couronne ne put manquer d’être très faible, et l’on dut craindre long-temps de le voir s’y briser comme en Allemagne. Dès-lors l’œuvre principale consista, pour la France, dans l’établissement de son unité territoriale, principe de sa force, instrument de ses hautes destinées ; et le souci le plus constant des populations si diverses d’origine qui habitaient ses provinces, fut de s’abriter contre les tyrannies locales sous l’aile de ce pouvoir suprême et lointain qui se montrait à leurs yeux comme le réparateur des torts, le soutien du droit contre la force.

En Angleterre, les choses allèrent tout autrement, et la conquête normande donna, dès l’origine, assez de force à la royauté pour lui permettre d’être oppressive, assez d’unité à l’aristocratie pour en faire le centre de toutes les résistances nationales.

Les bouleversemens auxquels fut livrée l’Europe, lors des grandes invasions, n’approchent pas de la crise qui, à la fin du XIe siècle, changea, dans le royaume anglo-saxon, la condition des personnes aussi bien que celle des terres. Un peuple spolié en masse par un autre peuple, son sol divisé en soixante mille portions égales avec