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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

toute la régularité administrative des temps modernes ; un grand livre cadastral tenu par les vainqueurs, où sont inscrits, sous le nom du roi de qui relève tout domaine, les fiefs dont il gratifie ses féaux sous réserve du service militaire ; tous les biens hiérarchisés comme toutes les personnes, et les vaincus abaissés aux conditions les plus serviles et perdant même leur nom ; une langue étrangère étouffant l’idiome national, et jusqu’aux vieux saints de la patrie chassés du ciel par ceux des vainqueurs ; des violences sans nom, nécessitées par une tentative sans exemple : voilà ce que la journée d’Hastings amena pour l’Angleterre, et ce qui vit encore dans des formules officielles, dont le sens primitif a résisté aux révolutions et aux siècles[1].

Le livre terrier de la conquête une fois dressé, le sol une fois divisé en fiefs directs de hauts barons et en tenures de chevaliers, la royauté se trouva aussi forte en face de l’aristocratie que celle-ci, par la nature même de ses intérêts, se sentit compacte en face de la royauté.

Cette unité ne fut d’abord employée qu’à conserver une conquête contre laquelle protestèrent long-temps le courage et le désespoir des vaincus. Ce n’était pas trop de la bravoure des rois normands et de la féauté empressée de leur noblesse, pour tenir tête aux insurrections qui éclataient chaque jour dans les villes et dans les campagnes, lorsque les malheureux Saxons se lassaient d’écouter, aux pieds du donjon paternel, les cris d’une insultante orgie, ou de voir leurs sœurs et leurs filles passer aux bras de leurs impitoyables vainqueurs.

Tant que les forêts du centre et les montagnes de l’ouest et du nord servirent de refuge à l’indépendance ; tant que, dans les marécages d’Ély, se cachèrent des combattans et des martyrs, la noblesse rallia, sans hésiter, la bannière royale, chaque fois que celle-ci se leva pour défendre la commune conquête. Mais lorsque cette conquête fut consolidée et que les défenseurs de la patrie saxonne n’apparurent plus que comme d’héroïques bandits ; quand on fut rassuré sur le sort de tant de beaux châteaux et riches domaines, départis par Guillaume aux

  1. Il suffirait de citer, entre mille exemples, les paroles sacramentelles de la sanction royale, donnée en français et en ces termes : pour les bills d’intérêt général : le roi le veut ; pour les bills d’intérêt privé : qu’il soit fait comme il est désiré ; pour les bills de subsides : le roi remercie ses loyaux sujets, accepte leur bénévolence et aussi le veut. (Delolme. On the const. of England, ch. IV.) On sait que cette sanction se donne à la chambre des pairs, à la barre de laquelle se tiennent les membres des communes, dans une attitude qui, pour avoir le mérite d’être historique, n’en aurait pas moins, à nos yeux, le tort d’être inconvenante.