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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/154

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pauvres hères qui le suivirent ; ceux-ci, devenus fiers et enflés d’importance, commencèrent à trouver qu’on leur faisait payer cher le fruit de leur vaillantise, et se mirent à poursuivre un autre but.

La domination des Plantagenets était rude et sauvage : leurs lois de sang atteignaient le noble qui osait franchir l’enceinte des forêts royales aussi bien que le Saxon surpris à pleurer les temps de saint Édouard, ou à chanter les combats du roi Alfred. Puis c’étaient chaque jour des favoris nouveaux, gascons, provençaux ou autres, gens de toute langue et extraction, venus à Londres pour s’avancer dans les bonnes graces du suzerain ; ce furent enfin les discordes de cette terrible famille, où les fils se soulevaient contre les pères, où les haines fraternelles entretenaient des rivalités impitoyables : tout cela dut donner aux barons, sous les règnes qui suivirent ceux du conquérant, l’espérance de limiter, à leur profit, le pouvoir absolu d’une royauté qui se produisait, en Angleterre, sous des formes inconnues dans le reste de l’Europe féodale.

La masse du peuple conquis ne put manquer de bénéficier de ces querelles, et l’allégement du joug imposé à ses pères devint la condition expresse ou tacite d’un concours également recherché par les deux partis, parce qu’il leur était alors également nécessaire.

Henri Ier, menacé par son frère, comprit quelle force il trouverait en s’appuyant sur l’esprit saxon, qui, depuis qu’il avait cessé d’être redoutable à la royauté, pouvait devenir, entre ses mains, un puissant instrument de résistance aux entreprises de la noblesse. Aussi voulut-il donner un gage à cette nationalité opprimée, en partageant son trône avec une princesse du sang des vieux rois dépossédés.

De leur côté, les barons suivirent les inspirations de la même politique, dans leur longue querelle avec Jean-sans-Terre, ce prince méprisable aux yeux du peuple comme à ceux des grands, et dont l’ame, au dire des chroniqueurs contemporains, aurait souillé l’enfer lui-même. Les bourgeois des cités, les vilains des campagnes entrèrent à l’envi dans cette universelle conjuration à laquelle le clergé vint prêter sa force, en sanctifiant son but et en légitimant ses moyens. L’armée de Dieu et de la sainte église, liée par des sermens prêtés au pied des autels, se mit en campagne pour conquérir la liberté, ce bien qui manquait à tous, et bientôt la grande charte fut signée aux champs immortels de Runnimède.

Cette victoire avait été obtenue par trois intérêts distincts, et chacun d’eux reçut des garanties dans ce jour, le plus grand entre tous les grands jours de cette histoire.