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— Tu chercherais en vain un couvent moins souillé et des moines meilleurs ; tous sont ainsi. La foi est perdue sur la terre et le vice est impuni. Accepte le travail et la douleur, car vivre, c’est travailler et souffrir.

— Je le veux, je le veux ! mais je veux semer pour recueillir. Je veux travailler dans la foi et dans l’espérance ; je veux souffrir selon la charité. Je fuirai cet abominable réceptacle de crimes ; je déchirerai cette robe blanche, emblème menteur d’une vie de pureté. Je retournerai à la vie du monde, ou je me retirerai dans une thébaïde pour pleurer sur les fautes du genre humain et me préserver de la contagion…

— C’est bien, me dit le père Alexis en prenant dans ses mains mes mains que je tordais avec désespoir, j’aime ce mouvement d’indignation et cet éclair de courage. J’ai connu ces angoisses, j’ai formé ces résolutions. Ainsi j’ai voulu fuir, ainsi j’ai désiré de vivre parmi les hommes du siècle, ou de m’enfermer dans des cavernes inaccessibles ; mais écoute les conseils que l’Esprit m’a donnés aux temps de mon épreuve, et grave-les dans ta mémoire :

« Ne dis pas : Je vivrai parmi les hommes et je serai le meilleur d’entre eux, car toute chair est faible, et ton esprit s’éteindra comme le leur dans la vie de la chair.

« Ne dis pas non plus : Je me retirerai dans la solitude et j’y vivrai de l’esprit, car l’esprit de l’homme est enclin à l’orgueil, et l’orgueil corrompt l’esprit.

« Vis avec les hommes qui sont autour de toi. Garde-toi de leur malice. Cherche ta solitude au milieu d’eux. Détourne les yeux de leur iniquité, regarde en toi-même, et garde-toi de les haïr autant que de les imiter. Fais-leur du bien dans le temps présent en ne leur fermant ni ton cœur, ni ta main. Fais-leur du bien dans leur postérité en ouvrant ton esprit à la lumière de l’Esprit.

« La vie du siècle débilite, la vie du désert irrite.

« Quand un instrument est exposé aux intempéries des saisons, les cordes se détendent ; quand il est enfermé sans air, dans un étui, les cordes se rompent.

« Si tu écoutes le sens des paroles humaines, tu oublieras l’Esprit, et tu ne pourras plus le comprendre. Mais si tu ne laisses venir à toi les sons de la voix humaine, tu oublieras les hommes, et tu ne pourras plus les enseigner. »

En récitant ces versets d’une bible inconnue, le père Alexis tenait ouvert le livre que j’avais vu déjà entre ses mains, et il tournait les