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le prince de Campo-Franco par le mariage de son plus jeune fils, le comte de Lucchési-Palli. Le choléra, qui n’a pas laissé sans vide une seule maison dans Palerme, venait d’enlever la princesse de Campo-Franco, et je trouvai ses charmantes filles vêtues de deuil, près de leur père, dans le fond d’une autre salle, remplie de tableaux du Guide, du Carrache et de tous les maîtres. Le prince attendait son successeur le duc de Laurenzana, et disposait déjà tout pour se rendre à Naples où il était appelé. Le gouvernement napolitain avait jugé que son esprit modéré, son caractère doux et conciliant, n’étaient pas en rapport avec les circonstances orageuses où se trouvait la Sicile ; et il commençait par le rappel du prince le nouveau système d’administration dont j’aurai plus tard à vous parler. Le prince de Campo-Franco est maintenant à Naples où il fait partie de la consulte d’état. À mon départ, il était question de le nommer gouverneur du prince royal des Deux-Siciles. L’héritier du trône de Naples a deux ans, je crois, et le prince de Campo-Franco compte plus de soixante ans. C’est donc simplement un honneur par lequel on aura voulu le dédommager de son éloignement de la Sicile.

J’avais pris, à Naples, l’engagement de visiter un jeune prince sicilien, noble rejeton d’une des plus illustres familles de la Sicile, de celles qui ont laissé s’écouler les richesses accumulées depuis tant de siècles, dans leur maison, par la conquête et par la faveur des souverains. Les larges degrés du palais, éclairés par une lampe allumée devant la madone, étaient abandonnés. Je pénétrai dans trois vastes salles qui devaient avoir été meublées avec un grand luxe du temps de la reine Caroline, et dans un salon noblement orné de tentures de soie brodées d’argent, je trouvai toute une famille de serviteurs, tristement assise en cercle et devisant à voix basse. Dans la chambre voisine, était le prince qui s’attendait à ma visite, et qui me reçut comme un ami qu’on n’a pas vu depuis long-temps. C’était la première fois que nous étions en présence l’un de l’autre. J’étais étranger, nouveau-venu, la Sicile était encore livrée aux troubles ; on ignorait l’issue des émeutes de Catane, de Messine et de Syracuse ; la défiance et la réserve semblaient commandées aux Siciliens dans ces circonstances. Le jeune prince me parla cependant tout de suite avec un rare abandon, et les larmes dans les yeux, de la situation malheureuse de la Sicile, du triste sort de son beau pays, de l’isolement de toute cette jeunesse sicilienne, qui est condamnée, disait-il, à ne prendre part ni au mouvement général de l’Europe, ni à l’administration de son pays, qui n’a de patrie ni à Naples, ni à Palerme, et qui