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LA SICILE.

prévoit un avenir encore plus fâcheux. Au lieu du désir si commun de briller et de cacher la médiocrité de sa fortune sous les dehors affectés du luxe, le prince me montra d’un geste douloureux tous les restes de splendeur qui l’environnaient ; et, se jetant près de moi sur un vaste sopha de soie, il me demanda si je savais quelque pays où l’épée d’un jeune homme, courageux et fier, pût lui frayer le chemin de l’honneur et de la fortune. Mais nous ne sommes plus au temps où un gentilhomme pouvait aller offrir le secours de son bras à quelque noble cause ; ma réponse dissipa cette aimable et touchante ignorance et rappela le prince à la réalité. Il rêva quelques momens. — « Au moins, dit-il, que notre triste situation ne m’empêche pas de vous bien recevoir. Dans ce palais, vous trouveriez le luxe, mais non le nécessaire. Ma villa est inculte et déserte ; je n’ai que mon cheval ; c’est l’unique chose qui m’appartienne. Montez-le, de grâce, tant que vous serez ici. C’est la seule manière dont je puisse remplir les devoirs de l’hospitalité envers vous. Au nom de nos amis, ne me refusez pas. Nous sommes bien malheureux ! » ajouta-t-il. — Ce peu de mots vous en dira plus que toutes mes réflexions sur le caractère de la jeune noblesse sicilienne.

J’ai souvent vu s’exhaler ces douleurs et ces regrets en Sicile ; mais j’ai pu me convaincre, en plusieurs circonstances, que les craintes du gouvernement napolitain, à l’égard de la Sicile, étaient très exagérées, même dans le moment où la Sicile se trouvait le plus livrée au désordre et à l’anarchie. De son côté, le gouvernement napolitain fait en Sicile ce que font tous les gouvernemens qui sont ou qui se croient menacés par leurs sujets. C’est son système antérieur, et non sa conduite actuelle, que la bonne politique désapprouve. Il craint les Siciliens et il les traite avec rigueur ; mais si cet excès de rigueur ne tient qu’à la crainte que la Sicile inspire, elle est de trop, car les Siciliens ont déjà dépassé le degré de misère où l’on se révolte. Pour moi, je n’ai jamais assisté qu’en France à des actes de révolte, et là j’ai observé qu’elle n’a lieu que par l’excès d’aisance et de prospérité. En 1789, quoi qu’on en ait dit, le peuple était heureux, et le mauvais état des finances n’avait pas influé sur le sort des classes inférieures, qui prospéraient sans droits politiques, mais qui prospéraient enfin. L’excitation politique, en France, augmenta singulièrement vers la fin du ministère de M. de Villèle, c’est-à-dire à une époque de prospérité inouïe, où l’on avait à peine gardé le souvenir des suites désastreuses de l’invasion étrangère et des malheurs de la réaction de 1815. Sous le ministère de M. de Polignac, en 1830,