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Toute la communauté chrétienne de Norwége et de Suède avait contribué à l’enrichir. Les pirates eux-mêmes lui avaient payé leur tribut : deux de ces hommes, qui s’en allaient sur leur navire chercher au loin les aventures et piller les côtes étrangères, revinrent un jour en Norwége avec un riche butin qu’ils ne purent partager sans se battre. L’un d’eux, avant de tirer le glaive, invoqua son bon ange et fit vœu d’offrir à l’église une part de ses richesses, s’il sortait victorieux du combat. Sa prière fut exaucée, et il donna à la cathédrale de Nidaros une croix en argent massif, si lourde qu’il fallait trois hommes pour la porter. C’était cette croix que l’on voyait briller en tête des processions le jour de la fête de saint Olaf ; puis venait la châsse du saint, composée de trois caisses, l’une en argent doré, les deux autres en bois, revêtues d’ornemens en or et parsemées de pierres précieuses. Soixante hommes la portaient en dehors de l’église, et les vieillards, les enfans, les hommes du pays et les voyageurs, l’entouraient avec un saint respect. C’était en touchant cette châsse que le malade espérait se guérir ; c’était sur cette châsse que les rois étendaient la main en prêtant leur serment ; c’était au pied de cette châsse qu’ils étaient couronnés ; c’était là qu’on les enterrait. Du haut du sanctuaire, saint Olaf présidait aux destinées de ceux qui venaient occuper son trône ; le jour de leur sacre, les rois se mettaient sous la protection de son sceptre ; le jour de leur mort, ils reposaient à l’ombre de sa palme de martyr.

Cette époque de foi et de prospérité catholique dura trois siècles. En 1328 l’église fut incendiée, et reconstruite peu de temps après. En 1431, elle fut incendiée encore et réparée avec le même zèle. Mais, en 1531, elle brûla de nouveau, et cette fois les efforts de l’archevêque pour lui rendre sa première splendeur, et les vœux des fidèles, furent impuissans. Les idées de réforme commençaient à pénétrer dans le Nord. Sans avoir encore admis le protestantisme, le peuple discutait déjà le pouvoir des indulgences et la légitimité des saints. Les pélerins ne vinrent plus grossir les processions, les malades désertèrent l’autel. Le tribut que les fidèles portaient chaque jour à la cathédrale diminua peu à peu, et les prêtres, privés du trésor où ils avaient coutume de puiser, ne parvinrent qu’à peine à masquer les désastres de l’incendie et les ruines de leur église. Puis, quand les trois contrées Scandinaves eurent adopté le dogme de Luther, les nouveaux convertis crurent faire une œuvre pieuse en détruisant tous les vestiges de leurs anciennes croyances. Ceux-ci brisèrent les statues des saints, ceux-là déchirèrent les tableaux, et il y en eut un plus pervers encore que les autres, qui, rassemblant sur la place les livres du chapitre, en fit un auto-da-fé. Dans cette dévastation des monumens catholiques, le Danemark n’oublia pas qu’il était maître de la Norwége. Il envoya un navire chercher la châsse d’argent, les calices, les ciboires et tous les ornemens d’or et de vermeil. Le navire, attaqué le long de la route et pillé par un pirate hollandais, échoua sur la côte avec le reste de ses dépouilles. Cinquante années auparavant, à la nouvelle de ce naufrage, on eût crié au miracle ; mais alors le temps des miracles était passé, et les iconoclastes, plus