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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

rayon de soleil qui éclaire leur fenêtre, comme un mercier de la rue Saint-Martin se réjouit d’avoir gagné pendant le jour quelques deniers de plus qu’il ne l’avait espéré.

L’amour des voyages, qui était un des traits caractéristiques des anciens Scandinaves, est encore profondément enraciné dans le cœur de leurs descendans. Les contrées lointaines et surtout les contrées méridionales exercent toujours sur eux une attraction à laquelle ils résistent difficilement. La plupart des négocians que j’ai vus à Drontheim avaient visité l’Allemagne, la France, l’Angleterre. L’un d’eux était parti comme un Vikingr avec un navire, non plus pour guerroyer sur les mers, mais pour visiter paisiblement les pays étrangers. De Drontheim il était allé en Islande voir la patrie des conteurs de sagas, de là en Écosse, puis à Naples. Il avait vu la Sicile, l’Espagne, la Turquie, et quand il revint au bout de trois années, quelques graves spéculateurs lui demandèrent peut-être quel bénéfice escomptable il rapportait de sa longue excursion ; mais la plupart, oubliant tout calcul matériel, lui enviaient le bonheur d’avoir pu faire un tel voyage.



II.
SANDTORV.

Le 27 juin, au point du jour, les pilotes de Drontheim avaient signalé la Recherche. L’un d’eux vint nous annoncer cette nouvelle, et nous courûmes sur le port. Le vent était contraire. À l’aide de la longue-vue, on apercevait, à l’extrémité du golfe, le navire louvoyant le long de la côte, et il était facile de calculer qu’il n’arriverait pas avant plusieurs heures. Mais nous ne pouvions attendre si long-temps ; nous prîmes une barque et nous allâmes à sa rencontre. Le ciel était pur, la mer était belle. Nos deux matelots, penchés sur leurs avirons, poussaient avec force notre barque en avant. Jamais je n’ai eu tant de plaisir à voir le sillage d’écume fuyant derrière moi, à entendre le bruit d’une rame tombant sur l’eau. Peu à peu, nous distinguions plus nettement les formes de la corvette qui nous avait ramenés d’Islande, et qui venait nous chercher pour nous conduire au Spitzberg. Déjà nous pouvions voir ses trois lignes de voiles blanches étagées l’une sur l’autre et son drapeau flottant au haut de la dunette. Il faut avoir passé des jours d’isolement en pays étranger et regretté l’air vivifiant de la terre natale pour comprendre l’émotion que l’on éprouve à se retrouver tout à coup avec des compatriotes, avec des hommes qui parlent notre langue, s’associent à nos souvenirs et partagent nos affections. Notre arrivée à bord fut annoncée par de longs cris de joie, et nous embrassions nos amis, et nous ouvrions les lettres qu’ils