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sayaient de résister à la rigueur de l’air en marchant à pas forcés sur la dunette, et les moins résolus tournaient un regard timide vers le capitaine, comme pour lui demander si l’on n’arriverait pas bientôt à la station de relâche. Mais le thermomètre baissait de plus en plus, le vent enflait encore les vagues, et nous n’apercevions que l’eau et les montagnes nues. Tout à coup, au détour d’une baie, sur un promontoire vert, nous vîmes apparaître une grande et belle maison entourée de quelques magasins ; c’était le lieu où nous devions passer la nuit, c’était l’île de Sandtorv. L’île est grande et bien peuplée ; la pointe de terre qui s’élève en face de nous est habitée par un riche marchand qui fait, deux fois par année, le voyage de Bergen avec son propre jagt, pour vendre le poisson qu’il a acheté et ramener les denrées qu’il débite dans le pays. Chaque pêcheur est un de ses vassaux, chaque voisin lui doit quelque redevance ; ses champs d’orge et ses pâturages s’étendent au loin sur la côte. Sa maison est l’hôtel des voyageurs, le foyer des nouvelles, la bourse où se discutent les affaires d’état et les affaires de commerce. Il n’y a que lui qui soit en relations directes avec les deux grandes villes du Nord, Bergen et Drontheim ; il n’y a que lui qui reçoive le journal de Christiania. Derrière sa demeure, qui, pour les pauvres gens de ce pays, doit être un vrai palais, on aperçoit cinq ou six cabanes en bois ; une de ces cabanes est habitée par un tonnelier, une autre par un cordonnier, tous deux également pauvres, obligés de chercher dans la pêche une ressource qu’ils ne trouvent pas dans leur métier. Un peu plus loin j’aperçus la maison du pilote ; il était sur le chemin au moment où je passais, et me pria d’entrer. Sa fille m’apporta une chaise, sa femme m’offrit du lait ; car la pauvreté ici n’exclut pas l’hospitalité, et la porte du pêcheur, comme celle du marchand, est ouverte à l’étranger. Pendant que la famille du pilote était ainsi occupée à me recevoir, je regardais cette demeure ; elle était bien triste : une seule chambre au rez-de-chaussée, étroite et puante, servant de chambre à coucher, de cuisine et de salle de réunion à toute la famille ; en haut, une autre chambre, où les femmes se retirent pour filer la laine et tisser, l’hiver, quand les hommes sont à la pêche ; au dehors, un séchoir pour le poisson, un hangar inachevé ; voilà tout. Ces pauvres gens couchent sur une planche recouverte d’une peau ; ils portent des vêtemens de vadmel, ils boivent du lait mêlé avec de l’eau, après l’avoir laissé fermenter pendant plusieurs mois, et ils se nourrissent toute l’année de fromage et de poissons. Comme ils manquent souvent de foin pour les bestiaux, ils font bouillir les têtes de poissons dans l’eau et les donnent à leurs vaches, qui les mangent, dit-on, avec avidité. Autour d’eux, la terre ne produit qu’un peu d’orge ; souvent la récolte manque, et, quand elle donne cinq à six fois la semence, on peut dire que c’est une excellente année. L’hiver et l’été, le mari va à la pêche ; la femme travaille avec ses enfans, et cette famille vit ainsi au jour le jour. Elle a l’air paisible et content, et, quand le mari vint me reconduire, quand il me montra le vallon, fermé d’un côté par la mer, de l’autre par une masse de montagnes dont les som-