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et deux cœurs enflammés sur l’autel. La lettre était écrite en grosse bâtarde, les mots parfaitement alignés, avec de grands traits de plume aux queues des majuscules. C’était un compliment de bonne année, à peu près conçu en ces termes :

« Madame et chère Marraine,

« C’est pour vous la souhaiter bonne et heureuse, que je prends la plume pour toute la famille, étant la seule qui sache écrire chez nous. Papa, maman, et mes frères vous la souhaitent de même ; nous avons appris que vous étiez malade, et nous prions Dieu qu’il vous conserve, ce qui arrivera sûrement. Je prends la liberté de vous envoyer ci-joint des rillettes, et je suis avec bien du respect et de l’attachement,

« Votre filleule et servante,
« Marguerite Piédeleu. »

Après avoir lu cette lettre, Mme Doradour la mit sous son chevet ; elle fit aussitôt appeler M. Després et elle lui dicta sa réponse ; personne dans la maison n’en eut connaissance, mais dès que cette réponse fut partie, la malade se montra plus tranquille, et peu de jours après on la trouva aussi gaie et aussi bien portante qu’elle l’avait jamais été.


ii.

Le bonhomme Piédeleu était Beauceron, c’est-à-dire natif de la Beauce, où il avait passé sa vie et où il comptait bien mourir. C’était un vieux et honnête fermier de la terre de la Honville, près de Chartres, terre qui appartenait à Mme Doradour. Il n’avait vu de ses jours ni une forêt, ni une montagne, car il n’avait jamais quitté sa ferme que pour aller à la ville ou aux environs, et la Beauce, comme on sait, n’est qu’une plaine. Il avait vu, il est vrai, une rivière, l’Eure, qui coulait près de sa maison ; pour ce qui est de la mer, il y croyait comme au paradis, c’est-à-dire qu’il pensait qu’il fallait y aller voir ; aussi ne trouvait-il en ce monde que trois choses dignes d’admiration, le clocher de Chartres, une belle fille, et un beau champ de blé. Son érudition se bornait à savoir qu’il fait chaud en été, froid en hiver, et le prix des grains au dernier marché. Mais quand, par le soleil de midi, à l’heure où les laboureurs se reposent, le bonhomme sortait de la basse-cour pour dire bonjour à ses moissons, il faisait bon voir sa haute taille et ses larges épaules se dessiner sur l’horizon. Il semb-