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philosophie, de mode à cette époque, qu’on appelait le théisme ; car, il faut bien l’avouer, j’avais déjà recherché le résumé de mes études et de mes réflexions dans les écrits des philosophes mes contemporains. J’eusse dû m’en abstenir sans doute, car rien n’était plus contraire à la disposition d’esprit où j’étais alors. Mais comment l’eussé-je prévu ? Ne devais-je pas penser que les esprits les plus avancés de mon siècle sauraient mieux que moi la conclusion à tirer de toute la science et de toute l’expérience du passé ? Ce passé, tout nouveau pour moi, était un aliment mal digéré dont les médecins seuls pouvaient connaître l’effet ; et les hommes studieux et naïfs qui vivent dans l’ombre ont la simplicité de croire que les écrits contemporains qu’un grand éclat accompagne sont la lumière et l’hygiène du siècle. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, malgré toutes mes préventions en faveur de ces illustres écrivains français dont les fureurs du Vatican nous apprenaient la gloire et les triomphes, je tins dans mes mains avides une de ces éditions à bas prix que la France semait jusque sur le terrain papal, et qui pénétraient dans le secret des cloîtres, même sans beaucoup de mystère ! Je crus rêver en voyant une critique si grossière, un acharnement si aveugle, tant d’ignorance ou de légèreté : je craignis d’avoir porté dans cette lecture un reste de prévention en faveur du christianisme ; je voulus connaître tout ce qui s’écrivait chaque jour. Je ne changeai pas d’avis sur le fond ; mais j’arrivai à apprécier beaucoup l’importance et l’utilité sociale de cet esprit d’examen et de révolte qui préparait la ruine de l’inquisition et la chute de tous les despotismes sanctifiés. Peu à peu j’arrivai à me faire une manière d’être, de voir et de sentir, qui, sans être celle de Voltaire et de Diderot, était celle de leur école. Quel homme a jamais pu s’affranchir, même au fond des cloîtres, même au sein des Thébaïdes, de l’esprit de son siècle ? J’avais d’autres habitudes, d’autres sympathies, d’autres besoins que les frivoles écrivains de cette époque ; mais tous les vœux et tous les désirs que je conservais étaient stériles, car je sentais l’imminence providentielle d’une grande révolution philosophique, sociale et religieuse ; et ni moi ni mon siècle n’étions assez forts pour ouvrir à l’humanité le nouveau temple où elle pourrait s’abriter contre l’athéisme, contre le froid et la mort.

Insensiblement je me refroidis à mon tour jusqu’à douter de moi-même. Il y avait long-temps que je doutais de la bonté et de la tendresse paternelle de Dieu. J’en vins à douter de l’amour filial que je sentais pour lui. Je pensai que ce pouvait être une habitude d’esprit que l’éducation m’avait donnée, et qui n’avait pas plus son principe