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dans la nature de mon esprit de progresser en dépit de tout et à propos de tout. Je me disais que soit une cause, soit une autre, soit la fable d’Hébronius, soit tout autre hasard, je devais sortir du christianisme, parce que j’avais été condamné, en naissant, à chercher la vérité sans relâche et peut-être sans espoir. Brisé de fatigue, atteint d’un profond découragement, je me demandais si le repos que j’avais perdu valait la peine d’être reconquis. Ma foi naïve était déjà si loin, il me semblait que j’avais commencé si jeune à douter, que je ne me souvenais presque plus du bonheur que j’avais pu goûter dans mon ignorance. Peut-être même n’avais-je jamais été heureux par elle. Il est des intelligences inquiètes auxquelles l’inaction est un supplice et le repos un opprobre. Je ne pouvais donc me défendre d’un certain mépris de moi-même, en me contemplant dans le passé. Depuis que j’avais entrepris mon rude labeur, je n’avais pas été plus heureux ; mais du moins je m’étais senti vivre, et je n’avais pas rougi de voir la lumière, car j’avais labouré de toutes mes forces le champ de l’espérance ; si la moisson était maigre, si le sol était aride, ce n’était pas la faute de mon courage, et je pouvais être une victime respectable de l’humaine impuissance.

Je n’avais pourtant pas oublié l’existence du manuscrit précieux peut-être, et, à coup sûr, fort curieux, que renfermait le cercueil de l’abbé Spiridion. Je me promettais bien de le tirer de là et de me l’approprier ; mais il fallait, pour opérer cette extraction en secret, du temps, des précautions, et sans doute un confident. Je ne me pressais donc pas d’y pourvoir ; car j’étais occupé au-delà de mes forces et des heures dont j’avais à disposer chaque jour. Le vœu que j’avais fait de déterrer ce manuscrit le jour où j’aurais atteint l’âge de trente ans n’avait sans doute pu sortir de ma mémoire ; mais je rougissais tellement d’avoir pu faire un vœu si puéril, que j’en écartais la pensée, bien résolu à ne l’accomplir en aucune façon, et ne me regardant pas comme lié par un serment qui n’avait plus pour moi ni sens, ni valeur.

Soit que j’évitasse de me retracer ce que j’appelais les misérables circonstances de ce vœu, soit qu’un redoublement de préoccupations scientifiques m’eût entièrement absorbé, il est certain que l’époque fixée par moi pour l’accomplissement du vœu arriva sans que j’y fisse la moindre attention ; et sans doute elle serait passée inaperçue, sans un fait extraordinaire et qui faillit de nouveau transformer toutes mes idées.

Je m’étais toujours procuré des livres, en pénétrant, à l’insu de