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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

sa tête est le lord-lieutenant du comté, résidant dans ses terres ; elle a pour agens ces chasseurs de renard auxquels la couronne ne refuse jamais le titre de juges de paix : fonctionnaires dans la personne desquels se confondent tous les pouvoirs, depuis celui d’officier de police jusqu’à ceux de sous-préfet, d’ingénieur civil et d’intendant militaire ; qui lancent des mandats d’arrêt, surveillent les routes et constructions du comté, président au recrutement, accordent ou refusent des licences, etc., et tout cela sans plus de contrôle populaire que de surveillance et de direction ministérielle. Telle est la première base de cette organisation toute féodale de la justice, dont l’action ne se fait sentir dans les villes qu’à l’ouverture des grandes sessions, époque où les provinces reçoivent de la capitale leurs juges, leurs greffiers, et jusqu’à leurs avocats.

Dès-lors le personnel nombreux qui forme en France l’accompagnement nécessaire de nos administrations départementales et de nos cours et tribunaux, est complètement inconnu dans les comtés de la Grande-Bretagne. De là cette puissance sans borne de la propriété agricole, que ne contrebalance ni l’action d’un gouvernement privé d’agens spéciaux, ni celle d’une bourgeoisie encore faible ; de là ces vieux abus qui ont faussé la représentation politique, rendu la dispensation de la justice si difficile, et l’action de l’administration à peu près nulle, abus que nous comprenons à peine dans leur principe, et bien moins encore dans leur durée.

Jusqu’à présent deux forces ont exclusivement pesé dans la balance des destinées de l’Angleterre, et seules elles y ont décidé l’issue de toutes les grandes questions politiques. D’un côté, la propriété liée à l’église, défendant les lois céréales, source de sa fortune, et le système administratif, source de son importance locale, repoussant l’émancipation religieuse comme destructive du principe de la constitution, et la réforme parlementaire, parce qu’elle tend à substituer l’influence des villes à celle des campagnes ; de l’autre côté, le peuple des ateliers, organisé en associations formidables, réclamant du pain à meilleur marché et des taxes moins accablantes, demandant la réforme bien moins pour conquérir des droits politiques que dans l’espoir de rendre sa condition matérielle moins précaire et ses privations moins poignantes ; derrière ce peuple, l’Irlande tout entière, avec ses griefs de huit siècles, l’habitude et le génie de la guerre civile, la discipline dans le brigandage et la sédition faite homme : voilà les deux aspects de la politique anglaise depuis 1815 jusqu’à 1838.

Aucune influence vraiment puissante ne s’élève encore entre l’o-