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DU VANDALISME.

dant long-temps cinquante hommes comme cet architecte de Bourbon-l’Archambault, lequel, pour donner une preuve de ses connaissances architecturales, a fait démolir la Sainte-Chapelle de cette ville, l’ornement et la gloire du Bourbonnais, pour en vendre les matériaux. C’est en 1833 que le dernier débris a disparu.

Mais comment qualifier le trait que je vais raconter, et dans quelle catégorie de vandales faut-il ranger ses auteurs ? Il y avait à Montargis une tour antique qui faisait l’admiration des voyageurs. M. Cotelle, notaire à Paris et propriétaire à Montargis, jugeant utile de conserver ces vénérables restes, avait provoqué des souscriptions et obtenu même du ministère une somme de 1,200 francs pour réparations urgentes. Malheureusement, aux élections générales de 1837, M. Cotelle se présente comme candidat ministériel ; aussitôt les meneurs de l’opposition se sont crus parfaitement en droit d’exciter quelques individus à retirer petit à petit les pierres qui faisaient la base de l’édifice, et, à leur grande joie, la tour s’écroula avec un épouvantable fracas. La nouvelle de cette belle victoire fut aussitôt expédiée à Paris ; le tour y fut jugé bon, et plus d’un journal sérieux le raconta avec éloge[1]. Je ne pense pas qu’il y ait un autre pays au monde où un pareil acte serait toléré, bien loin d’être encouragé.

En quittant le temporel pour le spirituel, si on examine l’état du vandalisme chez le clergé, on reconnaît que sa puissance y est toujours à peu près aussi étendue et aussi enracinée. Malgré les recommandations et les prescriptions de plusieurs respectables évêques, il y a toujours dans la masse du clergé et dans les conseils de fabriques, la même manie d’enjolivemens profanes et ridicules, la même indifférence barbare pour les trop rares débris de l’antiquité chrétienne. J’ai dit l’année dernière[2] combien le système suivi dans les constructions récentes était déplorable : il me reste à parler de la manière dont on traite les édifices anciens. Je sais qu’il y a dans chaque diocèse d’honorables exceptions, et que le nombre de ces exceptions s’accroît chaque jour[3]. Mais il est encore beaucoup trop petit pour lutter contre l’esprit général, pour empêcher qu’il n’y ait un contraste affligeant entre cet état stationnaire, cette halte dans la barbarie, et la réaction salutaire manifestée par le gouvernement et par des citoyens isolés. À l’appui de ce que j’avance ici, qu’il me soit permis de transcrire littéralement ce qu’on m’écrit à la fois des deux extrémités de la France : « Vous ne sauriez vous imaginer (c’est un prêtre breton qui parle) l’ardeur que l’on met dans le Finistère et les Côtes-du-Nord à salir de chaux ce qui restait encore intact. La passion de bâtir de nouvelles églises s’est emparée d’un grand nombre de mes confrères ; malheureusement elle n’est point éclairée. On veut partout du nouveau, de l’élégant à la ma-

  1. Voyez le Courrier et le Siècle des premiers jours de novembre 1837.
  2. Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1837.
  3. Aux noms que j’ai eu occasion de citer ailleurs, je dois ajouter M. Pascal, curé de La Ferté, dans le diocèse de Blois, qui, dans sa polémique avec M. Didron, publiée par l’Univers a donné des preuves de science et de zèle.