Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/526

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
522
REVUE DES DEUX MONDES.

nière des païens : pour ne pas ressembler à nos pères, pour ne pas imiter leur religieuse architecture, on nous fait ou des salles de spectacle, ou de misérables masures sans dignité, sans élégance, sans aucun cachet religieux, où le symbolisme chrétien est tout-à-fait sacrifié au caprice de MM. les ingénieurs. Ce n’est pas que l’on ne fasse quelquefois des réclamations, mais comme elles ne sont dictées que par le bon sens et la religion, et que, pour avoir des fonds, il faut suivre servilement les plans des architectes officiels, on passe à l’ordre du jour. » D’un autre côté, on m’écrit de Langres : « Le clergé de notre diocèse est tellement éloigné de tout sentiment de l’art religieux, qu’il s’oppose généralement aux réparations faites dans le caractère des monumens gothiques, et qu’il n’est presque pas de prêtre qui ne préfère une église à colonnes et à pilastres grecs, à fenêtres carrées ou en demi-cercle, garnies de rideaux de couleur, aux monumens gothiques. Et chaque jour, on voit, quand une église est trop petite, qu’au lieu de l’agrandir en suivant son architecture primitive, on la détruit, et on la remplace par une salle aux murs badigeonnés de jaune et de blanc. »

Je pourrais citer vingt lettres semblables, qui ne contiennent toutes que l’exacte vérité, comme peut s’en assurer quiconque est doué de l’instinct le plus élémentaire en matière d’art religieux, et qui veut se donner la peine d’interroger les hommes et les lieux. Partout il trouvera des curés qui se reposent sur leurs lauriers, après avoir recouvert leurs vieilles églises d’un épais badigeon beurre-frais, relevé par des tranches de rouge ou de bleu, après avoir jeté aux gravois les meneaux de leurs fenêtres ogivales, et échangé contre les produits de pacotille religieuse qu’on exporte de Paris, les trop rares monumens d’art chrétien que le temps avait épargnés. Je prends au hasard quelques traits parmi ceux que me fournit une trop triste expérience de ce qu’il faut bien nommer le vandalisme fabricien et sacerdotal. Quelquefois c’est une profonde insouciance qui fait la généreuse aux dépens de l’église. Ainsi plusieurs tonnes de vitraux provenant de l’église d’Epernay ont été données à un grand-vicaire de Châlons, pour orner la chapelle de son château ; ainsi une paix en ivoire du XIVe siècle, appartenant à Saint-Jacques de Reims, a été donnée par l’avant-dernier curé de cette paroisse à un antiquaire de la ville. Ailleurs, c’est un esprit de mercantile avidité qui spécule sur les débris de l’antiquité chrétienne, comme sur une proie assurée. On se rappelle la mise en vente de l’ancienne église de Châtillon, l’une des plus curieuses de la Champagne, par la fabrique, sur la mise à prix de 4,000 fr., heureusement arrêtée par le zèle infatigable de M. Didron, et le rapport qu’il adressa au ministre de l’instruction publique sur cette honteuse dilapidation. Mais là où on ne saurait vendre en gros, on se rabat sur le détail. À Amiens, on a vendu trois beaux et curieux tableaux sur bois du XVIe siècle, qui se trouvaient à la cathédrale, moyennant le badigeonnage d’une des chapelles. C’est dans cette même église qu’un des chanoines disait naguère à M. Du Sommerard en lui montrant des stalles du chœur, monument admirable d’ancienne boiserie : « Voyez ce grenier à poussière ! Il nous empêche