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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/530

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bâtimens, qui ne souffre pas qu’on s’en écarte, quand même on aurait tout l’argent nécessaire pour payer quelque chose de mieux. La ville de Charmes, dans les Vosges, avait près de cent mille francs de fonds municipaux disponibles pour une réparation de cette nature : on ne l’en a pas moins forcée à remplacer, par un capuchon en forme de marmite renversée, sa flèche élégante et fière, qui de trois lieues à la ronde ornait le paysage. On pourrait citer une foule d’autres exemples de ce genre. Le résultat général de cette sorte de progrès consiste à abaisser partout les croix de village de trente à quarante pieds. Belle victoire pour la civilisation !

Enfin, avant de sortir des églises, il faut bien consacrer quelques mots à une classe spéciale de vandales qui y ont élu domicile, c’est-à-dire aux organistes. Si c’est un crime d’offenser les yeux par des constructions baroques et ridicules, c’en est un, assurément, que d’outrager des oreilles raisonnables par une prétendue musique religieuse qui excite dans l’ame tout ce qu’on veut, excepté des sentimens religieux, et d’employer à cette profanation le roi des instrumens, l’organe intime et majestueux des harmonies chrétiennes. Or, dans toute la France, et spécialement à Paris, les organistes se rendent coupables de ce crime. Règle générale, toutes les fois qu’on invoquera le secours si puissant et si nécessaire de l’orgue pour compléter les cérémonies du culte, toutes les fois qu’on verra affiché sur le programme de quelque fête que l’orgue sera touché par M. ***, on peut être d’avance sûr d’entendre quelques airs du nouvel opéra, des valses, des contredanses, des tours de force, si l’on veut, mais jamais un motet vraiment empreint de sentiment religieux ; jamais une de ces grandes compositions des anciens maîtres d’Allemagne ou d’Italie ; jamais surtout une de ces vieilles mélodies catholiques, faites pour l’orgue et pour lesquelles seules l’orgue lui-même est fait. Je ne conçois rien de plus grotesque et de plus profane à la fois que le système suivi par les organistes de Paris. Leur but semble être de montrer que l’orgue, sous des mains habiles comme les leurs, peut rivaliser avec le piano de la demoiselle du coin, ou avec la musique du régiment qu’on entend passer dans la rue. Quelquefois ils descendent plus bas, et le jour de Pâques de cette année 1838, on a entendu au salut de Saint-Étienne-du-Mont, un air fort connu des buveurs, dont les premières paroles sont

Mes amis, quand je bois,
Je suis plus heureux qu’un roi.

On voit que ce n’est guère la peine pour M. l’archevêque de Paris d’interdire la musique de théâtre dans les églises, puisque les organistes y introduisent de la musique de cabaret. Il y a long-temps cependant que ces abus, si patiemment tolérés aujourd’hui, sont proscrits par l’autorité compétente ; et, pour me mettre à l’abri du reproche d’être un novateur audacieux, je veux citer deux anciens canons qu’on trouve dans le Bréviaire de Paris. Le premier est du concile de Paris, en 1528, décret 17 : « Les Saints-Pères n’ont introduit dans l’église l’usage des orgues que pour le culte et le service de